Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 1, 1912.djvu/13

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la philosophie conçue comme science des fins de notre « vie » et d’en « transmettre les principes assurés » : on ne saurait nier qu’il n’ait parfaitement réussi à faire sentir et à communiquer la ferveur philosophique qui l’anime.

Können wir noch Christen sein ? par Rudolf Eucken. 1 vol. in-12 de 236 p., Leipzig, Veit, 1911. — Le problème religieux a été, dès le début et pendant toute sa vie, au centre des préoccupations d’Eucken. Et il n’est pas un de ses grands ouvrages où ne se manifestent à la fois ses tendances profondément religieuses et son indépendance à l’égard de tous les partis et de toutes les confessions. Tantôt il s’efforçait de saisir l’essence du christianisme et notamment du protestantisme de Luther (Die Lebensanschauungen der gossen Denker), tantôt il montrait la signification profonde des luttes et des polémiques religieuses de notre temps (Geistiqe Strömungen der Gegenwart), tantôt il discutait la conception religieuse de l’existence en l’opposant à la conception naturaliste (Der Wert des Lebens), tantôt il essayait d’établir et la nécessité de la vie religieuse et l’insuffisance de ses formes actuelles (Der Warheitsgehalt der Religion). C’est à ce dernier ouvrage que se rattache le livre nouveau où Eucken se pose la grande question du siècle : « Pouvons-nous encore être chrétiens ? », et développe, pour la résoudre, toute une philosophie et une psychologie de la religion. Le christianisme fait de la religion le tout de la vie humaine ; il est religion de l’esprit absolu, opposé à la nature ; il est religion de la rédemption et non de la loi, c’est-à-dire qu’il met son espoir, non dans l’effort de l’homme, mais dans la grâce de Dieu, et la rédemption qu’il annonce est morale plus qu’intellectuelle, affranchit l’homme moins de l’erreur que du mal et du péché, tous les dogmes du christianisme (Trinité, Résurrection, etc.) découlent du dogme central de l’Incarnation qui exprime l’impuissance de l’homme à se racheter par sa force propre, le christianisme a donné à la vie une infériorité et une profondeur auparavant inconnues, et, tout en rabaissant l’existence terrestre, il la remplit de signification et de valeur. Mais sur tous ces points des affirmations nouvelles s’opposent aux affirmations du christianisme, la vie moderne s’éloigne du christianisme ou s’y oppose : il y a là un ensemble de tendances qui convergent et dont on ne saurait contester ni la puissance ni la légitimité. Et pourtant la négation du christianisme ne saurait nous satisfaire, s’il est vrai qu’elle doive enlever à notre vie tout caractère spirituel ; faire du monde un tissu de pures relations, de mouvements, d’éléments, un chaos ; de l’homme, devenu le but de lui-même, une pure machine laborieuse. Le moyen de sortir de ces difficultés est donné dans la vie spirituelle dont Eucken a montré ailleurs que par elle quelque chose de nouveau, d’entièrement original entre dans le monde. Or (p. 122) il n’y a pas et il n’y a jamais eu de vie spirituelle authentique sans un élément de religion, cet élément fût-il caché à la conscience des hommes : il y a là une sorte de religion universelle. La religion ne dirige pas la vie tout entière vers un au-delà, mais l’incorpore à un ordre autonome, supérieur du temps et du monde, et qui est la plus profonde des réalités (p. 135). Mais cet approfondissement même à des dangers ; l’âme pourrait se perdre dans le caprice et l’extravagance si les hommes ne se retrouvaient dans des expériences communes et historiques, autrement dit si l’instinct religieux fondamental ne donnait pas naissance à la Communauté religieuse, à l’Église (p. 136) : ainsi naît ce qu’on peut appeler, par opposition à la religion universelle, « religion caractéristique » : l’Église est un produit et un élément nécessaire de la vie religieuse : si l’Église apparaît aujourd’hui aux plus nobles esprits comme un obstacle et un fardeau, c’est seulement que les Églises actuellement existantes ne répondent plus aux nécessités présentes, sont usées et vieillies. Et ce qu’il faut vouloir, ce n’est donc pas l’abolition des Églises, mais leur rénovation (p. 137).

Sans doute il n’y a pas de religion, non pas même le christianisme, qui ait le droit, en repoussant toutes les autres, de se proclamer la seule religion véritable : car les autres religions aussi font vivre et mourir l’homme dans la conviction que le divin lui est immanent et le soulève au-dessus de lui-même. Toute autre position est un particularisme insupportable (p. 145). Pourquoi déclarer seule vraie la religion où le hasard nous fit naître ? Et comment la foi serait-elle affaire de géographie ? La religion la plus vraie est celle qui embrasse le plus largement la totalité de la vie religieuse. Et le christianisme, Eucken en fait la preuve en reprenant point par point ses définitions du début, est cette religion, pourvu qu’il se renouvelle et se libère de ses formes désuètes : « la religion doit s’unir plus intimement à l’activité humaine et pénétrer plus profondément l’univers », le christianisme doit être plus universel, plus actif et plus viril » (p. 203) ; ce chris-