Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 1, 1914.djvu/3

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cru que l’exposition des éléments des mathématiques devait se faire d’un point de vue purement logique et statique : la science sortait brusquement, et avec son dernier degré de perfection, du cerveau du professeur, comme Minerve en armes de la tête de Jupiter. Mais les inconvénients de ce point de vue trop dogmatique se sont bientôt fait sentir ; il est apparu qu’une méthode plus conforme à la nature des choses, une méthode qui tiendrait compte des conditions historiques du développement de la science, et qui n’éliminerait pas systématiquement les éléments intuitifs (procèdes de représentation géométrique, etc.) serait préférable. M. Boutroux ne méconnaît ni la valeur du point de vue des logiciens « qui fait des mathématiques une école sans pareille de raisonnement » ni l’importance de la conception intuitionniste. « qui unit la science pratique à la science théorique et sauve cette dernière du discrédit qui la menace ». Il caractérise de la manière suivante la méthode qu’il a adoptée. « Ce sont les faits mathématiques étudiés objectivement et pour eux-mêmes, qui retiendront notre attention, plutôt que les procédés souvent artificiels par lesquels ces faits sont découverts et contrôlés. Le présent tome contient tout ce qui a trait aux éléments de l’arithmétique, de la géométrie et de l’algèbre, y compris le calcul des dérivées et la théorie élémentaire des équations différentielles… Si le présent livre prétend être un exposé systématique de la science — et qui dit systématique, dit jusqu’à un certain point subjectif — si (nous l’espérons du moins) il remue quelques idées et invite à la réflexion philosophique, son premier objet n’en est pas moins de fournir des renseignements objectifs et de servir de répertoire aux débutants en mathématiques. » M. P. Boutroux a dissimulé discrètement derrière les faits ses préoccupations philosophiques, mais ces préoccupations existent cependant Dans la zone un peu confuse qui s’étend aux confins de la science, les problèmes philosophiques surgissent nécessairement. Malgré son caractère nettement objectif, l’ouvrage de M. P. Boutroux donne l’impression — ne serait-ce que par les indications historiques — qu’il y a un esprit derrière les faits, un esprit qui les dépasse puisqu’il est essentiellement esprit de recherche. Après la lecture du livre de M. P. Boutroux la science n’apparaît pas comme un système logique fermé, mais comme un organisme qui se développe incessamment et qui, par suite, doit rester en contact avec l’expérience et aussi avec une pensée moins rigoureuse que la pensée logique, avec une pensée toute chargée d’éléments disparates : intuitions, images,… et grosse des découvertes futures.

Les premières pages du livre I, consacré aux nombres, intéresseront particulièrement les philosophes. Signalons également le début du chapitre ii : les grandeurs géométriques et le calcul, et le chapitre iv où est étudié le calcul combinatoire. Mais c’est certainement aux chapitres i et ii du livre deuxième, relatif au calcul algébrique, que l’on découvre toute la pensée de l’auteur. « L’état d’esprit du mathématicien, dit-il, qui entreprend d’étudier les fonctions pour elles-mêmes est quelque chose de nouveau en Algèbre : il ne s’agit plus de combiner des formules, mais d’analyser a priori, afin d’en déterminer la signification et les lois, les divers modes de correspondance qui peuvent être établis entre des quantités variant simultanément. »

La distinction entre le calcul formel et l’être analytique que l’on étudie en se servant de ce calcul apparaît comme l’une des idées maîtresses de la philosophie de l’auteur. Nombreux, d’ailleurs, sont les problèmes que soulève le présent travail ; mais, nous l’avons dit en débutant, leur examen dépasserait considérablement les limites de cette notice. Nous espérons avoir fait sentir dans ces quelques lignes toute l’importance d’un remarquable ouvrage qui intéressera également les philosophes et les mathématiciens.

La Coutume ouvrière. Syndicats, Bourses du travail, Fédérations professionnelles, Coopératives, Doctrines et Institutions par Maxime Leroy. 2 vol. in-8 de 934 p. Paris, Giard et Brière, 1913. — Le livre de M. Leroy est d’abord un répertoire extrêmement précieux. Il constitue, pour le syndicalisme français, une œuvre d’analyse et de classification qui rappelle — et ce seul rapprochement n’est pas un mince éloge — celle que les Sidney Webb ont dédiée au Trade-Unionisme. Comment se forme et s’organise un syndicat – quelles sortes d’obligations il impose à ses membres ou s’impose à lui-même — comment les syndicats se fédèrent, et quels organes se donne leur fédération, — quelles relations ils soutiennent avec le parti socialiste, avec les coopératives — quels sont leurs moyens d’actions propres (boycottage et grève, label, sabotage). M. Leroy précise tous ces points par l’analyse des règles que les ouvriers élaborent, ou les pratiques qu’ils s’imposent, elles-mêmes éclairées par les théories ou les programmes qu’ils formulent.