des connaissances humaines. On pourrait croire que cette œuvre d’un maître presque sexagénaire marquerait le terme de ses recherches originales. Il n’en fut rien. Wundt ne craignit pas d’aborder une discipline qu’il n’avait qu’effleurée dans son Ethik, cette Vökerpsychologie illustrée par les recherches de Lazarus, de Dilthey, de Waitz, et il écrivit sur « l’évolution de la langue, des mythes et des mœurs » des œuvres considérables qui étonnèrent les spécialistes par la richesse de l’information et l’originalité des vues. Rappelons enfin qu’il fonda en 1881 les Philosophische Studien, qui publièrent régulièrement chaque année un volume d’études originales du maître et de ses disciples ; c’est là que furent consignés les principaux résultats des recherches de psychologie expérimentale poursuivies dans le laboratoire de Leipzig.
Au total, l’œuvre de Wundt représente l’un des efforts les plus considérables de la pensée moderne pour intégrer en un système fortement conçu les notions les plus générales que l’analyse peut dégager des sciences contemporaines. Le système de Wundt n’a d’égal pour l’ampleur que celui de Spencer, et il l’emporte sans doute sur celui de l’évolutioniste anglais par la comportence personnelle de l’auteur, presque égale en toute matière, et par la solide armature métaphysique qui en fait l’unité. Car ce psychologue de laboratoire, ce continuateur de Fechner, de Weber et d’Helmholtz est un métaphysicien de race, et son Système de philosophie, que M. H. Lachelier a eu le mérite de faire connaître aux lecteurs de la Revue philosophique (1890), mériterait d’être traduit en français. On y trouve une forme fort intéressante d’idéalisme évolutionniste, qui s’inspire à la fois du monadisme de Leibniz, du formalisme de Kant, du volontarisme de Schopenhauer et de l’évolutionisme de Spencer. En particulier, Wundt y étendait à la finalité dans la nature le principe de l’« hétéronomie des fins » dont il avait fait déjà, dans son Éthique, une application particulièrement heureuse. Il montrait, en effet, comment toute activité, reposant à sa base sur une volonté individuelle, se donne à elle-même des fins qui ne cessent de s’étendre et de se dépasser elles-mêmes, de sorte que la vie universelle est un développement, toujours plus intense et plus divers à la fois, dû à la mutuelle détermination d’une infinité d’unités volontaires.
Ce n’est ni le lieu ni le moment de fournir
de plus amples détails sur une philosophie
qui entre maintenant dans l’histoire
et dont la critique va s’emparer avec profit.
Comment cependant ne pas rappeler dans
une revue française que Wundt fut, avec
Eucken, Riehl et Windelband, un des quatre
philosophes allemands dont le public philosophique
français, qui n’éprouvait pour
leur personne et leur œuvre qu’estime et
respect, eut la stupeur désolée de lire les
noms au bas du trop fameux « Manifeste
des 93 intellectuels » d’Outre-Rhin ? Wundt
aggrava même sa participation à cet acte
public de loyalisme inconsidéré par des
articles et des brochures de guerre qui font
plus d’honneur à son nationalisme qu’à sa
clairvoyance. Si nous lisons d’ailleurs la
récente brochure de Hans Wehberg, Wider der Aufruf der 93
(Charlottenburg, 1920),
nous constatons que Wundt ne figure pas
au nombre des signataires qui, avant ou
après l’armistice, ont honnêtement reconnu
qu’ils s’étaient trompés ou qu’on avait surpris
leur bonne foi. Si Wundt a regretté
sa signature, il s’est tu, et son silence nous
permet de rappeler qu’un jour son caractère
ne fut pas à la hauteur de sa réputation,
on peut presque dire de sa gloire. Mais cette
constatation ne saurait amoindrir dans notre
pensée l’hommage que nous devons à cette
vie de labeur acharné et à une œuvre philosophique
dont l’Allemagne a le droit de
demeurer fière.