Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 2, 1907.djvu/13

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pas moins fort légitimes, et les Revues qui présentent des dissertations de cette nature tout à fait louables. Disserter sur le beau, sans doute, n’apprendra pas leur métier aux artistes et aux poètes, mais il n’est pas vrai, comme on le dit trop souvent que cela ne nous aidera pas à comprendre un peu leurs œuvres. La recherche historique à laquelle, chez nous, on tend de plus en plus à limiter l’étude de l’art, par réaction contre le dogmatisme passé, a le tort d’écarter toujours davantage l’historien de l’œuvre d’art qu’il veut comprendre. Les spéculations esthétiques éloignent peut-être moins du but. Leurs prétentions semblent ambitieuses à cause de la modestie et de l’incertitude de leurs résultats. Mais au moins ont-elles cet avantage de mettre un peu de notre sensibilité sous forme d’idée nette et d’enrichir notre intelligence de la beauté. Au contraire l’étude purement historique, absorbée par une recherche exclusive et difficile du fait exact, tend naturellement à oublier ce qui dans une œuvre d’art mérite d’abord d’être connu, à savoir le phénomène d’art. Beaucoup affectent du mépris ou de la terreur pour les idées sur l’esthétique et cependant il est étonnant de voir à quel point l’histoire de l’art est en général indigente de toute idéologie de ce genre.

Hibbert Journal (London : Williams and Norgate). — C’est une revue trimestrielle de fondation récente : son premier numéro date d’octobre 1902. Elle est arrivée très vite à un succès de librairie considérable, et s’est attiré la majeure partie du public, de plus en plus nombreux en Angleterre, qui s’intéresse aux questions religieuses. C’est une revue de philosophie religieuse au premier chef. Selon les termes de son programme initial, le Hibbert Journal note les différences d’opinion existantes, comme on observe tout phénomène naturel : il ne cherche pas à opérer, entre les variétés de la pensée religieuse, une conciliation arbitraire ; il ne fait pas davantage choix, entre elles, d’un type arrêté. Seulement, ajoutent les éditeurs, « nous défendons trois vérités positives : que le Terme de la pensée est Un ; que la pensée, dans son effort pour atteindre le terme, doit se mouvoir sans cesse ; que le conflit d’opinions aide le mouvement par lequel la multitude approche l’Un. Ces trois principes connexes traduisent l’esprit du Hibbert Journal, comme revue de religion, théologie et philosophie ».

Les tendances philosophiques du Hibbert, dans l’ensemble, sont assez voisines des tendances de l’école d’Oxford, et pourraient être caractérisées d’idéalisme expérimental. On part bien de l’inspiration individuelle, mais d’une inspiration qui n’est pas purement subjective, qui n’a rien, en tout cas, d’égoïste ni d’aristocratique, et qui se présente comme la recréation, par la personne, d’une expérience sociale diffuse. Ainsi, nous dit M. Schiller, d’Oxford (Rêves et Idéalisme, oct. 1904), l’idéalisme d’antan paraît définitivement dépassé : cet idéalisme, qu’on peut appeler absolu, « procède de l’assertion fondamentale de tout idéalisme : à savoir que la réalité, c’est l’expérience. Mais il explique cette proposition, en affirmant : 1o que l’expérience qui est coextensive avec la réalité ne doit pas être identifiée avec notre expérience, comme l’idéalisme subjectif le suppose à tort ; 2o que, d’autre part, cette affirmation de l’indépendance de la réalité et de notre expérience n’implique pas un retour au réalisme : la réalité, c’est l’expérience de l’Absolu ». C’est là un compromis intenable. Derrière ces confusions de l’idéalisme pur, par delà un réalisme rigide, entre les anciennes doctrines antagonistes, une nouvelle doctrine se fait jour, plus solide, plus claire, plus abordable et, en même temps, plus conforme au sens commun, et qui « peut même conduire à la réconciliation du réalisme et de l’idéalisme ». Le moi et le monde sont deux termes corrélatifs ; l’un ne peut être connu sans l’autre. L’impossibilité du solipsisme et la conception d’un dehors indépendant, ne sont point des nécessités logiques, ni des inférences inévitables ce sont des jugements pratiques, des notions qui réussissent ; « c’est simplement parce que le monde des rêves est d’une valeur moindre pour nous, que nous le jugeons irréel ». D’ailleurs, l’expérience du rêve implique une immense extension des possibilités d’existence ; elle nous suggère la notion d’ordres différents de la réalité, et d’une réalité plus pleine, qui transcenderait la vie de la veille, comme celle-ci transcende les rêves.

Au point de vue religieux, le Hibbert donne asile à toutes les opinions libérales, qu’elles viennent du protestantisme radical ou, même, du côté romain, — et l’on sait qu’en Angleterre certains catholiques, le P. Tyrrell entre autres, ont pris la tête du mouvement avancé de la pensée religieuse. On y discerne sans peine, cependant, une influence unitarienne marquée : singulière destinée, que celle de cette secte minuscule, les Unitariens, issue au XVIIIe siècle des vieux Presbytériens, fondée sur l’affirmation