Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 2, 1908.djvu/3

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qu’impuissance et naïveté. Aussi, pour constituer une morale collective, ni le logicien, ni le philosophe, ni le savant ne conviennent, mais seulement l’homme doué d’une sensibilité fortement accentuée, le créateur de valeurs, le héros de Carlyle ou le surhomme de Nietzsche. À tout débat de conscience en vue de savoir qui a tort et qui a raison, doit être substituée cette seule interrogation possible : sommes-nous des hommes de même désir ?

Dans une étude sur Henri Heine, M. J. de Gaultier essaie de montrer, par un exemple concret, l’insuffisance de tout dogme rationaliste en éthique. « Le rationalisme du Droit, de la Justice, de la Liberté, de l’Égalité constitue un dogme aussi faux que l’autre, l’ancien dogme théocratique, qui décrétait une forme immuable du servage et des inégalités sociales » (p. 193). La Raison n’intervient pas plus de notre temps pour décider du juste ou de l’injuste que ne faisait autrefois la divinité pour décider du rang. Le désespoir intellectuel d’un Henri Heine est causé par les antinomies irréductibles du rationnel et du théologique. Heine aurait peut-être retrouvé la paix intérieure s’il avait su faire abstraction des dogmes et s’attacher à la considération directe de la seule réalité créatrice effective des valeurs morales, à savoir « l’état de sensibilité qui s’est formé au cours des âges du choc des deux points de vue théoriques, manière d’être saisissable où tous les contrastes peuvent se fondre, car son essence est d’être un compromis » (p. 194).

Une autre étude, intitulée « une signification nouvelle de l’idée d’évolution », est consacrée aux théories de M. R. Quinton. L’auteur ne cache pas sa sympathie et son admiration pour ces idées ingénieuses, quoi qu’elles n’aient pas encore pris rang dans la science officielle. Quelque jugement qu’on porte sur les « lois de constance biologique » de M. Quinton, on n’aperçoit pas bien le lien qui pourrait rattacher sa doctrine, en tout cas très systématique et fortement coordonnée, à l’empirisme sceptique et sensualiste de M. J. de Gaultier. Ce dernier n’hésite pourtant pas à affirmer qu’ « aucun exemple ne pouvait montrer d’une façon plus saisissante comment l’instabilité fondamentale (qui est la norme de l’existence) s’accommode de principes secondaires de fixité, comment elle les exploite » ; et il ajoute : « l’évolution, identifiée avec le fait d’insurrection que dénonce la théorie de M. Quinton, perd, dans les cadres de l’opposition universelle, son caractère merveilleux. Elle se range sous le déterminisme majeur du principe d’opposition » (p. 34). Formule sybilline, qui n’explique guère comment des « lois de constance biologique » viennent à l’appui d’une réaction contre le vœu de rationalisme et de systématisation universels légué par la théologie à la spéculation philosophique !

Pessimisme, féminisme, moralisme, par Camille Bos, docteur en philosophie. 1 vol. in-16 de vi-173 p., Paris, Alcan, 1907. — Le pessimisme est un « mal post-religieux » : on n’est vraiment pessimiste qu’après avoir cessé de croire, et il suffirait de substituer aux croyances religieuses disparues des croyances nouvelles pour remédier au pessimisme : telle est la thèse soutenue dans la première partie de ce volume. On nous montre qu’il n’y a dans l’antiquité que des germes de pessimisme, que la foi chrétienne fait échec au pessimisme d’un Pascal, tandis qu’un esprit religieux mais « déchristianisé » comme Léopardi devait professer un pessimisme radical. — Il faudrait, pour que cette thèse fût indiscutable, la faire reposer sur des observations plus nombreuses : le poète persan Kheyam énonce un pessimisme aussi radical que celui de Léopardi : a-t-il perdu la foi ? Il faudrait aussi préciser le sens du mot pessimisme : l’auteur voit des traces de cette doctrine partout où des philosophes ont constaté l’existence du mal, chez les Stoïciens, chez Descartes, chez Spinoza : à ce compte, qui n’est pas pessimiste ? Mais certaines remarques sont ingénieuses : par exemple, l’auteur estime, contrairement à l’opinion vulgaire qui allie scepticisme et pessimisme, que, le pessimisme affirmant avec énergie la réalité du mal, un sceptique ne pourrait sans contradiction se montrer pessimiste.

Le féminisme est condamné par la science et par la morale, bien qu’il soit plus défendable au point de vue moral qu’au point de vue scientifique : telle est la thèse soutenue dans la seconde partie du livre. La loi d’évolution veut que la différence entre les sexes s’accentue à mesure qu’on passe des formes inférieures de la vie aux espèces supérieures : on entre donc en lutte contre la science quand on proclame l’égalité des sexes. D’autre part, bien que le mouvement féministe ne soit que la suite du mouvement anti-esclavagiste, il est immoral, car il inspire aux femmes le dégoût du mariage et le goût de l’union irrégulière et stérile. — Les deux articles dans lesquels ces idées sont développées nous paraissent des plus superficiels. L’auteur prend la peine de démontrer que, pour le