Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 2, 1913.djvu/18

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la discipline qu’elles imposent. Or l’idée chrétienne et catholique, dit M. Chatterton Hill, nous apparaîtra, si nous l’envisageons ainsi, comme le lien qui a réuni les consciences disséminées à la fin de l’empire romain et qui les tint unies jusqu’à nos jours. La seule barrière que l’on puisse poser devant les révoltes de l’égoïsme démocratique, le seul obstacle possible au déchaînement des instincts, aux grèves telles que celles des postiers en France, des dockers en Angleterre, sur lesquelles M. Chatterton Hill revient à maintes reprises, est dans la religion catholique, créatrice et sauvegarde de la civilisation occidentale.

En effet, le catholicisme réalise un équilibre nécessaire à l’existence de la société ; par la notion de devoir et de compensation, il persuade à l’individu de se sacrifier à la collectivité ; il concilie les droits individuels et les devoirs sociaux ; il fait apparaître la souffrance, nécessaire au progrès social, comme nécessaire au progrès individuel, et guérit par l’égoïsme l’égoïsme lui-même ; grâce à sa théorie de la fraternité, il unit les deux nécessités en lutte de l’inégalité et de la solidarité ; au moyen de l’idée de la dignité propre au travail, il fait perdre au travail tout caractère humiliant ; dans le sacrement du mariage, les deux idées d’inégalité relative et d’égalité absolue se rejoignent, et ici encore aux droits plus larges correspondent des devoirs plus lourds. Ainsi la religion est avant tout l’instrument au moyen duquel est obtenu le sacrifice des intérêts individuels aux besoins sociaux ; et nous ne pouvons comprendre la religion que si nous L’envisageons de cette façon : « L’institution du mariage, par exemple, qui est essentiellement une institution religieuse, est absolument incompréhensible au point de vue de l’individu ». C’est donc une erreur que de voir dans le christianisme une religion humanitaire ; toute religion est profondément anti-humanitaire : toujours la religion est indifférente à la souffrance individuelle ; toujours elle impose a l’individu des sacrifices et des labeurs.

On trouve dans ce livre, exposées en un style vigoureux, sévère et combatif, des idées souvent ingénieuses où l’on suit à la fois l’influence de la sociologie de M. Durkheim dont l’auteur se réclame, et des conceptions de M. Charles Maurras. Un grand nombre de points sont pourtant discutables : l’identité affirmée entre, l’individualisme et l’égoïsme d’une part, entre l’individualisme et l’égalitarisme d’autre part (pp. 31, 68), l’opinion que du point de vue de l’individu les croyances religieuses et morales n’ont aucune signification (p. 262), la conception de Jésus sociologue réaliste venu pour sauver la société (pp. 114, 161). Il y a malgré tout un aspect individuel dans la religion et particulièrement dans le christianisme : présenter l’idée du salut de l’âme comme un artifice et un leurre, l’idée de la perfection morale comme subordonnée dans le christianisme à l’idée du salut social, faire voir dans le christianisme un positivisme machiavélique ( « vraiment les enseignements du christianisme sont le signe d’une compréhension profonde des nécessités sociales et d’une connaissance consommée de la psychologie individuelle », p. 162), ce n’est pas, semble-t-il, faire saisir le christianisme dans son essence. Bien plus, n’y a-t-il pas des textes dans l’Évangile qui semblent peu favorables à cette idée de la dignité du travail, telle que la propose M. Chatterton Hill ? Faut-il admettre dès lors une différence entre le christianisme et le catholicisme ? M. Chatterton Hill nous répondrait que cela est impossible : c’est nécessairement la même doctrine qui a sauvé la société et qui a assuré pendant le moyen âge et les temps modernes sa cohésion ; on ne peut pas croire que la société ait été sauvée par une méthode individualiste au temps des premiers chrétiens et préservée ensuite par une méthode contraire (p. 67) ; c’est le même traitement qui a été continué, et qui doit être continué aujourd’hui (p. 167). Mais ici n’atteindrions-nous pas la présupposition fondamentale du livre : la conception d’une histoire calquée sur une biologie darwiniste, pour laquelle valeur et survivance sont synonymes (p. 57), biologie que l’auteur même déclare insuffisante (p. 153), conception qui au fond détruit toute idée de valeur, et ne permet d’autre attitude que la considération des faits ?

James Hutchison Stirling, his Life and Work, by Amelia Hutchison Stirling, M. A. with Preface by the Right Hon. Viscount Haldane of Cloan, 1 vol. in-8 de xi-379 p, Londres, Fisher Unwin, 1912. — James Hutchison Stirling naquit à Glasgow en 1820. Lorsqu’il eut dix-huit ans, il choisit la carrière médicale comme devant, pensait-il, lui laisser le plus de loisirs pour écrire : car ses ambitions étaient littéraires. Pendant huit ans, de 1843 a 1851, il exerça le métier de médecin dans la région minière du pays de Galles, écrivant un peu en vers ou en prose, travaillant beaucoup, correspondant avec Carlyle, en qui il reconnaissait son maître et son conseiller spirituel. Les lettres de Carlyle qui sont reproduites