Le Connais-toi toi-même témoigne chez M. Varisco des mêmes qualités de pensée que son œuvre antérieure ; il explore habilement les questions, il éveille et provoque la réflexion par sa méthode qui a quelque chose de socratique, et qui nous fait connaître sans doute autant l’esprit sagace du chercheur que la nature et les limites de l’esprit humain en général. Mais on peut se demander si « intelligendo se, intelliget omnia alia » ?
La Filosofia, Contemporanea. Germania-Francia-Inghilterra-America-Italia, par Guido de Ruggiero, 1 vol. in-12 de 485 p., Bari, Laterza, 1912. — L’auteur de ce livre s’est proposé de tracer un tableau de l’activité philosophique contemporaine : il a fait plus et il a fait moins. Son tableau est loin d’être complet et surtout les ombres et les lumières n’y sont pas toujours distribuées d’une manière qui s’impose. Mais c’est aussi autre chose : c’est un bilan de la philosophie contemporaine, établi avec beaucoup de précision, de bon sens et de verve, par un esprit très informé, très alerte et à qui les grands noms n’en imposent pas plus qu’il ne convient. Quoi que l’on pense de tel ou tel de ses jugements, il faut louer la brièveté heureuse de ses formules, et la lecture très étendue et sérieuse sur laquelle ses verdicts sont fondés.
Dans le livre consacré à la philosophie allemande, M. de Ruggiero passe en revue successivement l’école de Tubingue, le matérialisme historique, la Völkerpsychologie, le naturalisme (Laas, Dühring, Czolbe), la philosophie de Lotze, l’empirisme, la philosophie du donné (Schuppe, Rehmke), la Gegenstandstheorie (Meinong), l’empiriocriticisme (Avenarius, Mach), l’illusionnisme de Spir, le néo-kantisme (Lange, Liebmann, Riehl, Cohen), la philosophie des valeurs de Windelband et Rickert, la doctrine de Dilthey, le vitalisme de Driesch, la refonte du matérialisme historique par Stammler, la justification téléologique du christianisme par Ritschl, le psychologisme de Brentano et de Lipps, la métaphysique de l’empirisme (Wundt, Paulsen), le monisme de Hæckel, Nietzsche, la métaphysique du transcendant (Eucken, Volkelt, Münsterberg). Dans le livre II, M. de Ruggiero étudie la philosophie française : les derniers éclectiques, le positivisme, le nouveau spiritualisme de Ravaisson, Vacherot, Secrétan ; la philosophie de M. Lachelier, le phénoménisme de Renouvier, celui de Gourd et de M. Boirac, l’école kantienne (Liard, Brunschvicg), le positivisme absolu de M. Louis Weber, la philosophie des sciences (Milhaud, Hannequin, Poincaré, Duhem), la philosophie de l’intuition, la sociologie de M. Durkheim, le « positivisme platonisant » de M. Berthelot, le positivisme aristotélicien de M. Dunan qu’il loue grandement d’être conscient de sa propre position en un temps où les auteurs « ont souvent tendance à équivoquer sur les antécédents historiques de leurs doctrines », la « morale platonicienne » de Fouillée ; tout un chapitre est consacré à la philosophie de la croyance (Ollé-Laprune), à la philosophie de l’action (Blondel, Laberthonnière), au modernisme (Loisy, Fonsegrive). Le livre suivant, consacré à la philosophie anglo-américaine, constitue une revue encore plus rapide : après Hamilton, Mansel et Mill (la logique et l’éthique de l’empirisme), on y voit défiler H. Spencer (la métaphysique de l’empirisme), la philosophie des sciences (Maxwell, Clifford), le pragmatisme, la logistique, l’empirisme critique d’Hodgson, l’idéalisme néo-hegélien (Sterling, Green, Bradley), la philosophie religieuse (Newman, Caird, Wallace), Royce et l’idéalisme américain. Enfin, la philosophie italienne est examinée dans un quatrième livre : les destins de la philosophie en Italie depuis Machiavel jusqu’à Gioberti sont d’abord rapidement retracés ; l’influence considérable de Bertrando Spaventa est justement mise en lumière ; elle est comparée à celle de Stirling en Angleterre et de M. Lachelier en France (p. 371) ; puis l’auteur passe en revue le scepticisme, le positivisme (Cattaneo, Villari, Ardigò), le passage du dualisme au monisme (Bonatelli, Cantoni), le néokantisme (Fiorentino, Masci), l’idéalisme absolu (Vera, Spaventa), le marxisme (Antonio Labriola), la philosophie de l’esprit de B. Croce, l’idéalisme absolu de G. Gentile.
Au milieu de la diversité considérable des tendances et des courants, M. de Ruggiero a cherché, et ce n’est pas là un mince mérite, à retrouver une identité spirituelle sous l’apparent atomisme des doctrines (p. 462). Il ne s’est pas contenté d’assister en spectateur amusé ou attristé à ces luttes ; il a voulu dégager la continuité de la recherche, le progrès d’une position à l’autre ; il peut dire avec vérité que l’histoire n’est pas pour lui source de pessimisme, ni de facile optimisme, mais de force et de travail. Dans la philosophie contemporaine s’achève, pense-t-il, la critique du mouvement kantien qui a abouti à Hegel ; cette critique n’est d’ailleurs pas dissolvante, car c’est elle qui comble l’abîme entre Kant et Hegel. Le discrédit