Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 2, 1913.djvu/6

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la culture et de compléter les sciences mathématiques et naturelles par les disciplines historiques. On a tiré le phénoménalisme de la doctrine de Kant par une interprétation unilatérale de la théorie de la chose en soi inconnaissable et de la raison théorique limitée aux phénomènes : pour Kuno Fischer, Otto Liebmann, Albert Lange, le « phénoménalisme » est l’essentiel du criticisme. Le « phénomenalisme » est la doctrine d’après laquelle la connaissance humaine n’atteint pas l’essence véritable de la réalité, mais seulement son apparence, c’est-à-dire la manière dont elle se représente dans la conscience humaine. Mais cette réponse n’est pas, comme on l’a cru, la seule réponse qui puisse être faite au grand problème de la théorie de la connaissance, le problème du rapport de l’objectif au réel, du savoir à la réalité, de la conscience à l’être. La science moderne de la nature suppose la théorie de la subjectivité ou « phénoménalité » des qualités sensibles. Mais de deux côtés différents on s’efforce de restaurer les droits de l’Erlebnis, de l’intuition immédiate : Gœthe, Hegel, Schopenhauer, Fechner, les trois premiers par l’opposition qu’ils font à la théorie newtonienne des couleurs, le dernier d’un point de vue plus général, cherchent à élever le monde perçu au rang de realité absolue ; d’autre part le kantisme, dépassant le cartésianisme, voit, dans les formes spatiales du monde extérieur, des phénomènes aussi bien que dans les qualités sensibles des corps. Le kantisme va plus loin encore : car il étend le phénoménalisme au temps comme à l’espace, au monde psychologique comme au monde extérieur. Enfin vient un phénoménalisme absolu, celui que les Anglais depuis Hamilton enseignent sous le nom d’agnosticisme : il enseigne que l’inconditionné est impensable, et se confond, comme le montre l’exemple de Spencer, avec le positivisme. Mais on ne saurait confondre ce phénoménalisme radical avec le phénomenalisme partiel de Kant que si l’on isole arbitrairement de l’ensemble du système kantien la philosophie théorique, que si l’on oublie de compléter la « science » par les fonctions de la raison pratique et esthétique. La conclusion de M. Windelband est qu’un phénoménalisme absolu est impossible et d’ailleurs ne se trouve pas chez Kant ; que le rapport entre chose en soi et phénomène, loin d’être le dernier mot de la philosophie théorique, n’est pas la catégorie qui détermine en dernière analyse le concept de la vérité comme rapport de l’être et de la conscience. Pour Kant le savoir théorique repose sur des modes de représentation spécifiquement humains, la conscience pratique au contraire sur des nécessités rationnelles valables de la même manière pour tous les êtres raisonnables ; on pouvait, partant de ce point, soit voir dans nos évaluations pratiqués quelque chose qui est fondé dans les conditions de la nature humaine et qui est limité par elles, et ainsi aboutir a un anthropologisme relativiste ou pragmatiste ; soit découvrir également dans notre vie théorique des éléments doués d’une vérité qui dépasse les conditions de la nature humaine, et fonder ainsi une métaphysique de l’esprit. Or le kantisme incline plutôt à cette dernière solution ; en effet Kant proclame la valeur universelle de l’impératif catégorique comme loi du monde intelligible ; et, s’il réduit l’espace et le temps à n’être que des formes phénoménales, rien n’empêche de considérer les catégories comme valables pour tous les êtres raisonnables. On est d’autre part sur la voie du système de l’identité dès qu’on examine de près la doctrine kantienne de l’espace et du temps : plus nous admettons la réalité du devenir, l’efficacité de la volonté, plus nous sommes portés à voir dans le monde un processus, plus les déterminations du temps nous deviennent nécessaires et plus la solidarité du temps avec le devenir rend difficile de croire à la phénoménalité du temps. — Enfin le rapport de ressemblance ou de dissemblance ne s’applique pas à la relation entre la conscience et l’être, mais l’identité constitue leur relation fondamentale. — Telles sont les articulations essentielles de cet opuscule, dont l’importance est hors de proportion avec ses dimensions modestes.

Möglichkeit und Widerspruchslosigkeit, par Hans Pichler, 1 broch. in 8 de 72 p., Leipzig, J. A. Barth, 1912. — M. Pichler, l’auteur d’une excellente étude sur l’ « Ontologie de Wolff », consacre ce petit livre a l’examen des notions de possibilité et de non-contradiction. On définit depuis Leibniz la possibilité par l’absence de contradiction ; on sait que Kant a critiqué cette définition ; mais la notion kantienne de la possibilité d’un objet, définie par l’accord avec les conditions formelles de la connaissance, laisse également le champ libre à des fictions sans consistance, à des concepts vides ; la possibilité « réelle » de Kant n’est rien de plus qu’une possibilité logique ; car la notion kantienne de possibilité réelle repose sur la notion d’expérience, et il faudrait montrer d’abord que cette notion n’est pas vide, mais a un objet. On pourrait donc dire que le concept kantien de possibilité réelle ne