Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 3, 1913.djvu/2

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vier, 1 vol. in-4 de 444 p., Paris, Colin, 1913. — La réimpression des Essais de Critique Générale vient de s’achever par les Principes de la Nature, qui n’en sont pas la partie la moins significative ni la moins curieuse. Des principes, posés dans la Logique et dans la Psychologie, de son phénoménisme finitiste, pluraliste et discontinu, Renouvier s’efforce de rechercher quelle conception de la nature peut résulter. La hardiesse de cette philosophie physique apparaîtra tout entière, si l’on songe qu’elle fut écrite en un temps où dominaient presque sans conteste les idées exactement contraires : c’est au moment de la première diffusion des idées darwiniennes qu’elle fut composée, c’est au moment de la plus grande vogue de l’évolutionisme spencérien et du monisme qu’elle fut réimprimée. Dès cette époque cependant, avec une vigueur et une netteté singulières, au nom de son intransigeante négation de tout infini actuel. Renouvier y faisait le procès de toute doctrine de continuité et de progrès fatal ; il dénonçait l’illusion que cache toute prétendue explication par une accumulation de petits changements et de transformations insensibles ; il restaurait dans toute leur séduisante clarté les idées d’unité et d’atome, de modification brusque et de révolution, d’initiative et de nouveauté absolue ; il préludait au néo-monadisme de ses derniers écrits. Ainsi, dans ce troisième Essai déjà, il aboutissait à esquisser la grande hypothèse cosmogonique par laquelle il voulut dès lors ressouder à la physique la morale et la religion, satisfaire à la fois aux lois de la représentation et aux exigences de la conscience ou du sentiment ; ainsi, il essayait de repenser, avec la mentalité que nous ont faite quatre siècles de science mécaniste et expérimentale, les idées traditionnelles de la chute, de la première faute et de la rédemption : et par moments on croyait sentir se réveiller en lui la fécondité imaginative, hardie et précise à la fois, de la vieille humanité, créatrice de mythes et de cosmogonies. — Aujourd’hui que les idées atomistes et que la tendance pluraliste ont repris faveur, nous nous trouvons, sur bien des points essentiels, comme de plain-pied avec la pensée de Renouvier, et il nous est d’autant plus facile d’en mesurer l’originalité, la vigueur et l’action.

Devoir et Durée, Essai de Morale Sociale, par J. Wilbois, 1 vol. in-8 de 408 p., Paris, Alcan, 1912. — Le titre de ce travail en indique très nettement la première intention. Il ne s’agit de rien de moins que de prolonger, sinon d’achever la philosophie de M. Bergson. Ce philosophe, dans son Évolution Créatrice, entreprend d’expliquer le développement de la vie ; et il en retrace les grandes directions vers l’instinct animal et l’intelligence humaine ; mais là il s’arrête, l’évolution ne l’intéressant qu’autant que, bien comprise, elle révèle son principe intérieur et nous ouvre un jour sur l’intimité des choses. De ces produits de l’évotion qui sont l’intelligence et l’instinct, M. Bergson remonte à l’élan vital qui les suscite, et son livre s’achève en une théorie générale de la réalité et de la connaissance que nous en pouvons prendre. Comme explication de la vie humaine, cette œuvre s’arrête à la considération générale de la nature de l’homme, prise en sa forme individuelle : c’est pourquoi elle n’aboutit pas à des directions pratiques. Mais si l’on poussait plus loin, si l’on interprétait dans le même esprit le progrès de l’humanité, organisée en sociétés, l’intelligence de ce progrès social aboutirait à des règles d’action. La métasociologie, comme la nomme l’auteur, engendrerait une morale ou même une religion et, par là, le cercle philosophique serait vraiment clos. Voilà ce que M. Wilbois a voulu faire et à quoi répondent directement les derniers chapitres de son livre. Mais une autre préoccupation, souvenir des origines de la philosophie qu’il veut compléter, est venue faire dévier sa pensée de ses premières intentions pour la retenir en des chemins déjà trop foulés : c’est la préoccupation du problème de la liberté. Sous le prétexte qu’il n’y a point de morale sans liberté, M. Wilbois se croit obligé d’établir d’abord que l’homme est libre. Mieux encore, il semble vouloir faire naître le devoir de la liberté. Mais en établissant ainsi, à la faveur de l’idée de l’élan vital, une continuité peut-être factice entre ces deux questions, nous craignons que M. Wilbois n’ait réussi, faisant se perdre les problèmes l’un dans l’autre, qu’à poser le problème de la liberté sans aboutir à le résoudre, et à résoudre le problème moral sans l’avoir posé.

Quoi qu’il en soit, une première partie de l’ouvrage (chap. i-vi) est destinée à établir d’une manière générale la possibilité et la réalité de la liberté. Il n’y a rien ici, à vrai dire, qu’on n’ait déjà lu dans les écrits de M. Bergson et de M. Le Roy : le déterminisme est une interprétation tout humaine et arbitraire de la réalité, d’où il suit que la liberté est possible. Mais, d’autre part, le fait même que l’intelligence interprète les choses, selon son gré ou ses besoins