Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 3, 1914.djvu/13

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ment conçue comme une aperception de la vie intérieure propre du sujet par opposition à l’observation des autres (p. 275). Dans la théorie vulgaire, le psychique n’est donné qu’à l’auto-observation ; le psychique chez les autres ne m’est pas donné dans sa réalité ; le réel qui est saisi dans ce cas n’est que mon propre moi : dans la mesure par conséquent où est saisie la vie psychique des autres, il faut de toute nécessité qu’il intervienne une « médiation gnoséologique ». Selon l’auteur au contraire, c’est que l’expérience intérieure ne possède point, en tantqu’observation de soi-même, un caractère propre au point de vue de la théorie de la connaissance. Tout en accordant qu’il peut y avoir et qu’il y a des différences caractéristiques entre l’aperception de notre « psychique propre » et celle « du psychique d’autrui », l’auteur maintient — et c’est là sa conclusion essentielle — que ces différences ne sont point de telle nature qu’elles expliquent la nécessité de fonder l’existence de ta nature psychologique des autres sur l’existence de notre « psychique propre ».

Einführung in die Ethik, par le Dr  G. Heymans. 1 vol. in-8, de 320 p., Leipzig, J. A. Barth, 1914. — Ce livre est le troisième d’une série d’ouvrages où le Dr  Heymans passe en revue toutes les parties de la philosophie, ou plutôt applique à toutes les sciences philosophiques les règles de la critique empirique. Dans son ouvrage : « Les lois et les éléments de la pensée scientifique », ainsi que dans son « Introduction à la métaphysique », il a soumis la métaphysique à l’épreuve de cette méthode empirique. L’ « introduction à l’Ethique » passe la morale au crible de cette critique.

Après avoir précisé la tâche que doit se proposer la morale, après avoir montré qu’elle est « non du ressort de l’intelligence », mais de celui de la volonté, il en arrive a cette définition de la morale : une morale est une méthode qui nous permet de trouver certains critères d’après lesquels nous pouvons juger si un acte est bon ou s’il est mauvais. Mais la question se pose précisément de savoir quelle méthode nous devons employer pour arriver à découvrir ces critères. M. Heymans passe en revue les différents systèmes de morale : la morale qu’il appelle « empirico-analytique », la morale qui emploie une méthode à la fois philosophique et tirée des sciences naturelles, la morale théologique, enfin la morale criticiste. Au contraire de ce que l’on pourrait croire, la méthode « empirico-analytique » ne trouve pas grâce à ses yeux et il la rejette résolument.

Une étude du jugement moral en général lui semble nécessaire avant de rechercher d’après quels critères l’être moral porte ce jugement. Il étudie le contenu et l’objet du jugement moral, ce qui le conduit à faire une psychologie assez sommaire de la volonté et à établir une distinction entre les penchants (Neigungen) et les motifs (Motive). Il en arrive ensuite à la grosse question du déterminisme et de l’indéterminisme qu’il étudie, d’abord au point de vue psychologique, puis au point de vue moral. L’étude psychologique du déterminisme a démontré son existence dans le domaine spirituel ; n’y a-t-il pas là un danger pour la liberté morale ? Et, d’autre part, le sens commun est d’accord sur ce point avec la psychologie et la science. Comment résoudre des antinomies comme celles qui opposent deux à deux les notions psychologiques d’une part, les notions éthiques de l’autre ? par exemple, « la conscience immédiate de la liberté de choisir et la prévision certaine des actions humaines, la certitude du principe de causalité et la certitude non moins inébranlable d’être l’auteur responsable de ses actes » ? Ces antinomies, dit M. Heymans, peuvent être résolues métaphysiquement ; mais comme, d’autre part, il condamne sans appel le relativisme criticiste, on se demande ce qu’il entend par cette métaphysique « où notre esprit ne peut guère s’élever au-dessus de vraisemblances ».

Au-dessus de critères moraux pour ainsi dire pratiques, chaque morale, qu’elle soit religieuse, métaphysique ou scientifique, place un critère supérieur, sorte de pierre de touche suprême, qui détermine sans appel la valeur morale d’une action ou d’un concept. Ces critères sont innombrables, et aussi variés que les systèmes de morale ; ils peuvent être téléologiques, individualistes, utilitaristes, intuitifs, esthétiques, etc. Par la critique et l’analyse de ces différentes normes, la logique serrée et la fine psychologie de M. Heymans lui font découvrir à leur base un concept commun : le principe d’objectivité, critérium suprême de l’action morale ; l’individualiste comme l’esthète jugent de la valeur morale d’une action en se posant à son sujet, en fin de compte, cette question : L’agent s’est-il placé, au moment de l’action, ou plutôt de la délibération, à un point de vue « personnel ou neutre, étroit ou étendu » ? Le principe d’objectivité est, en dernière analyse, la base