Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 4, 1907.djvu/2

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nisme mécaniste était acculé à une impasse faut-il conclure à l’inconnaissable et renoncer à approfondir la nature de la vie ? Non, répond M. Bergson, parce que nous ne sommes pas de purs entendements et parce que l’observation même des autres êtres vivants nous montre qu’il y a d’autres voies que celles qui conduisent à l’intelligence humaine, spatialisante et géométrique. C’est aux « puissances complémentaires de l’entendement, dont nous n’avons qu’un sentiment confus quand nous restons enfermés en nous, mais qui se distingueront et s’éclaireront quand elles s’apercevront elles-mêmes à l’œuvre dans l’évolution de la nature » qu’il convient de faire appel pour prendre contact avec la réalité vivante, pour saisir le vivant dans son essence, transcendante par rapport aux catégories ordinaires. Ni le mécanisme, ni la finalité, comme l’avait déjà nettement indiqué M. Dunan, n’épuisent le contenu de l’idée de vie. Une véritable théorie de la vie devra donc impliquer une réforme en quelque sorte de la théorie de la connaissance, et elle est inséparable d’une métaphysique, au sens propre du mot, c’est-à-dire d’une discipline qui ne se contente pas d’emprunter à la science positive les principes et les raisons du jugement à formuler en ressort ultime sur cette dernière, mais qui aspire à la dépasser, à atteindre à la vision directe de son objet, bref à l’intuition. Alors seulement il serait possible de substituer au faux évolutionnisme de Spencer « un évolutionnisme vrai, où la réalité serait suivie dans sa génération et sa croissance ». Mais une philosophie de ce genre n’est ni l’œuvre d’un seul homme ni l’expression d’un système individuel. C’est plutôt une voie ouverte aux générations de penseurs, pour tout dire une méthode. Ainsi, amené par l’expérience psychologique et par une critique décisive de l’évolutionnisme mécaniste à définir une conception du devenir vivant, plus exacte et mieux adaptée à son objet, M. Bergson se trouve finalement aux prises avec le problème de la connaissance envisagé dans son universalité philosophique, et dans la nécessité de rompre ouvertement avec le criticisme comme avec le positivisme, partant de restaurer, d’ailleurs en la rajeunissant puissamment, la conception de la métaphysique comme d’un mode de connaissance supérieure, ou plutôt suprêmement immanente au réel. Inutile de dire que sa dialectique vigoureuse et subtile, après avoir fait le procès du mécanisme, ne faiblit pas dans cette seconde partie de sa tâche, si ardue cependant.

Essai sur les éléments principaux de la représentation, par O. Hamelin 1 vol. in-8 de 476 p. Paris, Alcan, 1907. — Cet important ouvrage fera l’objet d’une étude critique spéciale et développée, qui paraîtra dans cette Revue. Disons brièvement ce qu’on y trouve. Que le lecteur ramasse dans son esprit toutes les thèses qui ont été exposées et discutées dans la Revue de Métaphysique, chacun cherchant analysant, argumentant comme il pouvait ; peut-être apercevra-t-il quelques traits, et comme une esquisse très imparfaite d’un système de philosophie rationaliste. Qu’il se figure maintenant toutes ces idées mises en ordre, et éclairées par cette mise en ordre, tous ces chercheurs mis à leur place, leurs discussions expliquées, leurs erreurs mêmes justifiées autant qu’elles peuvent l’être. Voilà ce que peut trouver un disciple qui cherche plutôt à comprendre qu’à critiquer, dans ces quatre cents pages d’une analyse serrée, dont la vigueur et la pénétration ne cessent pas un moment de dépasser les espérances du lecteur.

Il y a dans ce livre, au sujet du nombre, du temps, de l’espace, de la qualité, du changement, des idées générales, de la causalité, du mécanisme, de la finalité, de la conscience, de la liberté, de Dieu, et sur toute question pour mieux dire, des modèles de critique rationaliste qu’on ose dire presque achevés. Et cela suffirait pour faire de ce livre un grand livre.

Mais il y a plus. Toutes ces idées sont organisées explicitement en un système, par le jeu d’une dialectique qui, autant qu’on peut voir à premiers lecture, est plus qu’un cadre ou qu’une forme, et semble vraiment essentielle. Qu’un mouvement logique soit créateur, c’est ce que, beaucoup accepteront avec peine : on dira, on a sans doute déjà dit, que cette déduction des notions concrètes à partir de l’abstrait n’est qu’une manière de parler, et que, ou bien tout était contenu dans la première, ou bien des faits classés et rangés d’avance nourrissent en réalité cette prétendue déduction. Mais justement l’auteur ne veut point déduire, et il prend soin de distinguer sa méthode synthétique de la méthode déductive. Qu’il passe d’une notion à une autre, et qu’il sache à chaque instant où il va, l’auteur le reconnaît. Il ne prétend pas montrer autre chose que ceci : une notion n’a de sens qu’avec la notion opposée ; par exemple « l’être exclut le néant et le néant exclut l’être, mais il est impossible de trouver aucun sens à l’un ou à l’autre hors de cette fonction d’exclure son opposé » ; ainsi, dans la pensée, les