Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 4, 1909.djvu/10

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porte quelle échelle. (Et l’on pourrait citer tel gros livre, qui n’est pas autre chose que cela.) Ce serait inutile, parce que les œuvres de Kant sont déjà assez obscures par elles-mêmes, le philosophe ayant presque toujours laissé au lecteur le soin d’appliquer la doctrine aux exemples. Il fallait donc s’appliquer à quelques thèses fondamentales et directrices ; les exposer amplement, et, pour le reste, faire héroïquement les sacrifices nécessaires. En somme il fallait se détacher de la lettre, et chercher l’esprit du système. M. Gantecor a très bien vu ce qu’il fallait faire. Ce petit livre est pensé : et d’ailleurs pensé par un homme qui s’est rendu maître, par une longue étude, de l’ensemble et des détails du système, de façon que les effets de perspective et de raccourci, qui étaient ici inévitable, n’empêchent pas que le portrait ressemble tout à fait à l’original.

Sans doute on peut concevoir d’autres portraits différents de celui-là, et non moins fidèles. On aurait pu, par exemple, expliquer un peu plus cette « unité originairement synthétique de l’aperception » qui est comme le principe des principes, « auquel est suspendue toute la connaissance humaine ». (Déduction des concepts purs. Troisième section.) De même l’important théorème concernant la réalité du monde extérieur (postulats de la pensée empirique, II) aurait pu servir de centre à une exposition abrégée des Principes de l’Entendement (V. p. 69, dans notre auteur). Peut-être une exposition un peu plus détaillée de la thèse et de l’antithèse d’une des antinomies, par exemple la troisième, aurait-elle éclairé convenablement l’ensemble de la dialectique transcendentale (p. 83), mais il fallait choisir. Et l’on peut citer, notamment sur le schématisme (p. 65) et sur la déduction du principe moral (p. 95-109), de pénétrantes analyses qui prépareront utilement l’écolier et l’étudiant à la lecture des trois « Critiques ». C’est tout ce que l’on peut demander à un ouvrage élémentaire de ce genre ; et ce n’est pas peu de chose.

L’optimisme de Schopenhauer, par Stanislas Rzewuski ; 1 vol. in-12 de 178 p., Paris, Alcan, 1908. — Ce petit livre a été écrit par un enthousiaste, et l’état d’esprit dont il procède explique tout à la fois ses qualités et ses défauts. Il est écrit avec une sincérité, une spontanéité, une chaleur de conviction qui entraînent le lecteur, et en même temps la continuité du ton oratoire, l’exubérance monotone de l’épithète, la hardiesse sommaire de certains jugements ne tardent pas à rebuter et à inspirer des doutes sérieux sur le sens critique de l’auteur. M. Rzewuski aime passionnément la philosophie et les philosophes ; à beaucoup de ces derniers il attribue un « immense génie » ; mais il ne semble pas avoir une vision bien nette des perspectives de l’histoire ni de la classification des écoles. MM. Ribot, Durkheim et Lévy-Bruhl sont à ses yeux des « métaphysiciens » au même titre que MM. Boutroux et Bergson ; M. Fouillée, dont M. Rzewuski se déclare le pieux fidèle, lui paraît être pour la France ce que Kant a été pour l’Allemagne. M. Fouillée serait sans aucun doute tout le premier a se défendre contre ce rapprochement. Beaucoup d’autres jugements trahissent ainsi une inexpérience que la bonne volonté et la passion de l’auteur ne rachètent point.

La thèse de M. Rzewuski est au reste fort simple. S’il a été violemment ému par l’épouvante shakespearienne qui se dégage des pages tragiques où Schopenhauer a condensé les plus fortes raisons que l’homme puisse avoir de désespérer de la vie, il ne manque pas de relever que ce pessimisme n’aboutit pas aux conclusions radicales que ne craindront pas de défendre les disciples conséquents tels que de Hartmann et surtout Mainlander. On peut dégager de la philosophie de Schopenhauer, sinon un eudémonisme, du moins une éthique de la sérénité, et, si l’on songe que la voie qui conduit à la sérénité n’est pas nécessairement la voie douloureuse de l’ascétisme ou du martyre, mais la contemplation de l’ « idée » pure telle que l’art la réalise dans sa plus haute et plus impersonnelle réalité, on conviendra qu’il y a dans la doctrine du célèbre pessimiste la matière d’un optimisme relatif. Tout cela est assez connu, et M. Rzewuski le montre avec exactitude. Il rappelle fort justement que le Nirvana même n’est un néant que par rapport au monde de la représentation, en ce sens que ce dernier ne nous offre aucun élément qui nous permette de construire la pensée du Nirvana. M. Rzewuski aurait pu même tirer un argument plus précis d’un texte bien significatif ou Schopenhauer établit que « Rien en général » (Nichts überhaupt) n’est pas identique à l’ « absolument rien » (Absolutes Nichts) (Grisebach., II, p. 120).

Quoi qu’il en soit, l’optimisme de Schopenhauer, s’il est conforme à « l’instinct », aux « inspirations » de la nature humaine qui veut la joie, paraît à M. Rzewuski incompatible avec le pessimisme radical de la théorie du vouloir vivre. Comment, demande l’auteur, peut--