Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 4, 1910.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mathématique. Quand il s’agit d’un rapport qualitatif, il suffit de le préciser ; au point de vue quantitatif au contraire un choix s’impose entre les formes, inspiré par l’idée de la simplicité de la nature. Ainsi dans la théorie physique on trouve : 1° une partie expérimentale qui exprime des rapports ; 2° une partie mathématique consistant en rapports exacts de grandeurs. La première est sûre et demeure ; la seconde est variable et c’est pourquoi les nominalistes se sont appuyés sur les sciences les plus mathématiques : ils y trouvaient plus facilement des arguments.

M. Lalande félicite M. Darbon de sa méthode : observer réellement les sciences. Il constate aussi qu’on n’avait jamais autant vu de fonctions et d’intégrales dans une thèse présentée à la Faculté des Lettres : vous en avez un peu oublié que vous parliez pour des philosophes. Même des savants, non physiciens, seraient parfois embarrassés en lisant votre ouvrage : ainsi la loi des phases de Gibbs est citée sans explication. Des commentaires auraient été souvent nécessaires.

Il y a deux courants dans votre ouvrage : d’abord un courant critique d’analyse a posteriori de la science, puis une philosophie reposant sur l’intelligibilité du réel, celle de Hamelin. Elles se juxtaposent sans se relier. En outre vos cadres sont assez arbitraires. L’échec du mécanisme rend-il nécessaire un appel au « symbolisme » ? Nullement. On conçoit théoriquement des mécanistes nominalistes, et aussi des non-mécanistes non-nominalistes. De même historiquement l’abandon du mécanisme chez les physiciens formés vers 1885 n’entraînait pas le rejet du réalisme (M. Lalande lit un fragment d’un Cours de 1886). Vous avez recherché dans le chapitre sur les formes de l’abstraction scientifique quelles réponses on peut faire aux critiques nominalistes, et vous les avez très bien indiquées. Mais souvent il y avait à pousser plus loin l’analyse. Ainsi votre distinction du qualitatif et du quantitatif est intéressante mais il me semble que vous réunissez sous le nom de qualitatif d’une part les lois quantitatives, mais non rigoureuses (loi de Mariotte), et d’autre part des lois proprement qualitatives. Il y aurait là une distinction importante à faire. Le problème des approximations a été étudié : dans une loi approchée comme la loi de Mariotte, l’erreur d’approximation est limitée, déterminée. Il y a là une forme de loi très distincte des lois qualitatives comme le parallélisme de l’autogénèse et de la phylogénèse. N’y a-t-il pas deux types irréductibles ?

M. Darbon, – Sans doute : il y a des formes diverses de rapport. Mais j’ai étudié surtout la fonction même de la loi dans la science. Dans la dilatation des gaz par exemple, si la loi de Mariotte n’est vérifiée que dans des conditions éloignées de celle de la liquéfaction, il faudra la compléter. Mais en fait les lois mathématiques approchées jouent le même rôle que les lois nettement qualitatives. D’ailleurs la loi mathématique est celle qui est intégrée dans un système mathématique, tandis que la loi qualitative se suffit à elle-même.

M. Lalande. — Vous définissez donc négativement les lois qualitatives. Vous vous privez de moyens d’analyse. Ainsi p. 118-119 : les nominalistes insistent beaucoup… : vous répondez en disant que chaque opération est claire. Mais la réponse exacte au nominalisme, c’est que l’erreur peut toujours être définie avec précision comme comprise entre telle et telle limite.

M. Darbon. — On pourrait en effet pousser l’analyse. Mais l’essentiel dans la réponse au nominaliste qui s’appuie sur les erreurs d’approximation, c’est que toute correction qui n’est pas artificielle doit être claire, présenter un sens net (p. ex. dans la pesée d’un gaz corrections relatives aux dilatations).

M. Lalande. — Vous avez fait d’excellentes distinctions au sujet du problème de l’induction en séparant la question de la technique et la philosophie de l’induction. Mais là encore vous pouviez aller plus loin : il y a trois, même quatre problèmes de l’induction, irréductibles entre eux.

1° Problème technique : quels sont ses procédés ? (Dans quelle mesure le calcul des probabilités s’y applique-t-il, quelle est la fonction et la valeur de cadres comme les tables de Bacon et les règles de Mill ?)

2° Problème du principe : les types d’induction sont-ils multiples ou se condensent-ils en une formule nettement définie permettant une systématisation ?

3° Problème du fondement psychologique : d’où vient l’adhésion de l’esprit à des jugements ainsi appuyés seulement sur des exemples ?

4° Problème philosophique, qui se pose à propos de toute technique : quelle est sa place dans un système, comment se relie-t-elle aux autres thèses ?

M. Darbon. — Je me suis borné au problème philosophique.

M. Lalande. — Vous avez également traité la question technique, même la question psychologique en parlant d’une