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tel. Aussi, si le premier courant est pragmatiste, le second est au contraire un « véritable intellectualisme ». Et ce dernier tente l’absurde : il veut « aller à l’esprit en s’absorbant dans la lettre… Il apparaît aux catholiques traditionalistes comme violateur de la lettre : mais au contraire, il ne viole un sens littéral que pour atteindre à un autre encore plus littéral » (p. 147). Chez les critiques modernistes, « l’amour pour la vérité scientifique semble plus fort que l’amour pour la vérité religieuse… » Ils font « des manifestations de savoir, non d’amour ; des actes d’orgueil érudit, non de propagande religieuse ». — Et l’on retrouve sans doute dans ces remarques l’auteur de l’Art de persuader, indiffèrent à la vérité ; mais, elles ne manquent peut-être pas pourtant de finesse psychologique.

2o  En ce qui touche la réforme de l’autorité, elle apparaît à M. Prezzolini comme enveloppant aussi une manière de contradiction : car les modernistes, voulant réformer l’Église, refusent de la quitter, ne craignent rien tant que de paraître des révoltés ; et pourtant, ils ne se soumettent jamais de cœur et en toute sincérité. De là des distinctions bien subtiles, et une casuistique nouvelle, aussi inquiétante que l’ancienne.

3o  M. Prezzolini termine en esquissant une conception personnelle, et assez étrange, quoique intéressante, du rapport du Catholicisme et du Christianisme : une manière de nietzschéisme religieux. Il donne aux deux mots un sens très général : « Toute activité humaine spirituelle, pour pouvoir justifier sa propre vie en face des besoins pratiques de l’homme, engendre toujours une contrefaçon d’elle-même qui la protège contre les heurts sociaux. Ainsi l’art, activité par excellence anti-sociale, tout individuelle,… engendre l’académie ; la philosophie… la scolastique l’amour… le mariage ». (p. 321). De la nécessité du Catholicisme comme contre-façon et antidote du Christianisme ; nécessaire pour que celui-ci même puisse vivre, et c’est, selon l’auteur, ce que les modernistes méconnaissent. « Le Catholicisme est né pour une double fin : celle de permettre au plus petit nombre de jouir de la vie intérieure et de la religion profonde, et celle de sauver le plus grand nombre des dangers sociaux de cette religion profonde : il se présente sous l’aspect social d’un immunisateur contre le Christianisme ». Aussi partout où une religion prend une forme sociale, elle tend au catholicisme. Les modernistes pourraient donc se définir « des protestants qui veulent paraître catholiques, tandis que les protestants sont des catholiques qui ne veulent pas le paraître » (p. 334.)

Au reste, dès aujourd’hui, le seul catholicisme vraiment vivant, c’est l’état, laïc, — « formaliste, bureaucratique, oppresseur », — comme le vrai christianisme est le socialisme, ferment de l’état bourgeois, lui donnant « les raisons idéales de son existence, — humanité, fraternité, — et de l’emploi de ses forces ». (p. 337.)

Puterea sufleteasca (La Force morale), par C. Radulescu-Motru, professeur à l’Université de Bucarest. 1 vol. in-8 de xv-245 p., Bucarest, imprimerie Carol-Göbl, 1908. — L’origine de ce travail est une préoccupation d’ordre pratique : l’appel à la formation des caractères est-il efficace ? la force morale peut-elle lutter contre l’influence du milieu ?

M. Motru étudie d’abord le développement de la personnalité humaine, dans les principaux moments de la « culture », de la civilisation. L’homme primitif n’a pas de confiance en lui-même. Son individualité est nulle. Dominé par l’impression du monde extérieur, troublé par ses propres conceptions anthropomorphiques, contraint à une activité en grande partie instinctive, l’homme primitif s’affranchit par les manifestations artistiques. L’art constitue la première affirmation de la personnalité humaine.

La culture antique a connu la paix résultant de la contemplation artistique. Mais ceux qui en bénéficiaient étaient peu nombreux. De plus cette culture présentait de graves défauts : l’esclavage, les superstitions païennes, etc. Avec le christianisme, nous assistons à une nouvelle étape de la culture humaine. Par son dogme d’un Dieu unique, il combattit les superstitions païennes ; par son esprit de fraternité, il prépara la suppression de l’esclavage ; enfin par sa distinction entre l’esprit et la matière, il frappa de mort la méthode dialectique employée par l’ancienne science et il prépara le terrain de la science d’aujourd’hui.

Si, en effet, la matière est distincte de l’esprit, on n’est plus tenté d’expliquer les phénomènes matériels par des principes rationnels. On est invité, pour ainsi dire, à observer ces faits pour en découvrir la cause. Le christianisme n’exclut pas, comme les religions païennes, la conception des lois physiques. Au contraire, ces lois sont compatibles avec la toute-puissance et la sagesse divines.

La science moderne contribua à son tour au développement de la personnalité humaine. La prétendue « faillite de la