Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 5, 1913.djvu/9

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repousse (p. 55), ou l’individualisme aristocratique, « effort vers l’originalité intellectuelle sous ses formes supérieures et les plus évoluées, effort vers la philosophie et la science accrues, vers la pensée élargie » qui comporte un acte de foi dans la bonté de la nature humaine et qui n’implique pas une absolue insociabilité intellectuelle. Cet individualisme, dégoûté et découragé par les petitesses de la vie sociale, se convertit en pessimisme aristocratique (Vigny, Gobineau, Schopenhauer, Flaubert, Leconte de Lisle) et détermine pratiquement chez ses adeptes une attitude « spectaculaire », un renoncement de la volonté aux fins sociales, une dissociation complète de l’instinct de connaissance et de l’instinct social. — Bref la personnalité sociale se superpose a la personnalité physio-psychologique, la prolonge et la complète, mais en la dénaturant, en lui faisant violence : « en nous la personnalité originelle résiste à l’autre et le conflit de ces deux forces ennemies paraît insoluble » (p. 106).

L’antinomie psychologique se prolonge immédiatement en antinomie esthétique. M. Palante ne conteste pas que l’art primitif soit avant tout une institution sociale, mais il constate avec satisfaction les progrès du subjectivisme (symbolisme, impressionnisme, dilettantisme, théorie de l’art pour l’art) : l’idée de beauté renferme un élément de jouissance égoïste, de distinction et de suprématie, une volonté « d’individuation et d’inégalité, un germe d’orgueil et un ferment de discorde » (p. 119). La culture esthétique va à l’encontre de la solidarité sociale, l’art est un ferment d’indépendance et d’indiscipline.

De même que l’art, la religion, d’abord institution sociale, s’est individualisée de plus en plus, est devenue un simple fait de conscience individuelle : la forme sociale de la pensée religieuse est l’orthodoxie, la forme individualisée est l’hérésie. Pourtant M. Palante n’a pas pu ne pas voir que l’hérésie n’est ni en intention ni en fait un véritable individualisme, qu’elle est elle-même une orthodoxie et tend toujours à la socialisation. Aussi bien l’auteur semble avoir été assez peu à son aise dans ce domaine de la religion : il consacre trois pages assez peu convaincantes à l’antinomie religieuse (p. 131-133) et passe à l’antinomie pédagogique. M. Patante combat avec vigueur l’ « éducationnisme », les prétentions de la « pédagogie à l’hégémonie sociale », l’esprit pédagogique, « nouvel avatar de l’esprit prêtre » (p. 137). M. Palante s’en prend à ce propos aux idées pédagogiques de M. Durkheim, auquel il reproche, d’ailleurs fort injustement (p. 142), de faire de la contrainte l’essence de toute société, le pouvoir coercitif n’étant nullement pour ce sociologue le tout du fait social, mais seulement un caractère du fait social, et non pas même toujours un caractère fort apparent.







Après l’antinomie pédagogique, l’auteur étudie l’ « antinomie économique » il reconnaît que « c’est en économie qu’il y a le moins de dissonances donnant lieu à des revendications individueltes h il signale pourtant, dans la production, l’antinomie des intérêts particuliers et de l’intérêt général, la contrainte de la division du travail avec sa répercussion funeste sur le physique et le moral du travailleur, la « discipline niveleuse du travail (p. 168), la tyrannie syndicale ; dans l’ordre de la répartition, encore l’antinomie des intérêts particuliers de l’intérêt général ; dans l’ordre de la consommation, l’opposition entre ceux qui

disent qu’on doit produire des objets de luxe à l’usage des privilégiés et ceux qui soutiennent qu’il ne faut produire que des utilités communes à tous.

L’auteur passe ensuite à la politique, « domaine du conformisme, des contraintes collectives, des mensonges de

groupe, de la duperie mutuelle des associés » (p. 193), où l’on ne fait jamais que « changer d’oligarchie ». La loi est tyrannique comme la volonté générale qu’elle exprime aussi M. Palante goûte-t-il médiocrement la fameuse prosopapée des Lois et considère— t-il Socrate comme « un Jocrisse magnanime » (p. 199). Vient alors « l’antinomie juridique » le droit, après avoir été d’abord exclusivement institution sociale, devient de plus en plus « un sentiment de la conscience individuelle ». l’ourtant le droit actuel même, à en croire M. Palante, ignore et méprise l’individu en tant que tel ; « il ne le protège qu’en tant que membre d’un groupe reconnu et autorisé » (p. 21