Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 6, 1908.djvu/13

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une influence très restreinte. Le déisme voltairien devait, en un tel pays, réunir beaucoup plus d’adeptes. Des hommes comme Franklin, dans le Nord, et Jefferson, dans le Sud, accentuèrent le mouvement.

Mais les États du Sud s’ouvraient plutôt à l’influence du matérialisme anglais, et les régions intermédiaires à celle de la philosophie écossaise. On peut dire que seule cette dernière fournit une carrière durable aux États-Unis. Et cela tient à deux causes : 1° la doctrine de Reid était la mieux adaptée au sens pratique qui devait rester comme la caractéristique de la colonie ; 2° l’union assez étroite des collèges et de l’église imposait cette doctrine un peu simple qui sauvegardait la foi dans l’esprit des jeunes gens. Déjà les principaux « réalistes » fleurissent au début du xixe siècle, et sortent un peu du cadre chronologique du livre.

Certes, dans son ensemble, l’ouvrage n’est pas d’une lecture aussi attrayante que s’il se présentait sous une forme plus systématisée, et, en quelque sorte, plus fondue. Il n’en constitue pas moins un très consciencieux et assez maniable recueil de notes et de documents — dont la plupart sont de première main — sur une partie, peu familière au lecteur européen, de l’histoire des doctrines modernes.

Le moderne dottrine teocratiche (1600-1850), par Antonio Falchi. 1 vol. in-8 de 510 p., Torino, fratelli Bocca, 1908. — Les doctrines théocratiques, en grand honneur au Moyen âge, disparaissent à la Renaissance. On ne les trouve, au xvie siècle, que dans des ouvrages insignifiants, si l’on admet, avec M. Falchi, que Bodin ne peut être compté parmi leurs partisans. Au xviie siècle, les défenseurs du droit naturel les critiquent d’autant plus vigoureusement qu’ils ont subi davantage l’influence du rationalisme cartésien.

Pourtant, à cette même époque, ces doctrines renaissent ; mais leur caractère s’est modifié : au Moyen âge, on avait dû, pour exalter le pape au-dessus des souverains temporels, abaisser ceux-ci et reconnaître aux peuples des droits. Mais cette alliance de la théocratie et de la démocratie était accidentelle. Au xviie, au xixe siècle, les deux doctrines se développent indépendamment l’une de l’autre, et elles s’opposent radicalement l’une à l’autre. Avec Bossuet, avec Saint-Martin, avec de Maistre et de Bonald, la doctrine théocratique est nettement anti-démocratique et anti-individualiste. Elle s’appuie sur l’histoire pour montrer que l’homme est social par nature, et que, par suite, toute théorie du contrat social est fausse. Dès lors, le pouvoir ne naissant pas d’un accord entre individus, doit venir d’une puissance surhumaine. Lorsqu’il fait à la démocratie des concessions ; lorsque, avec Lamennais, il se mue en « démocratisme chrétien », le théocratisme se suicide.

Aussi bien il a précisément à cette date, accompli sa « fonction historique » : il a versé son contenu dans le positivisme naissant : que l’homme soit social par nature, c’est ce que Comte répète après de Maistre. L’école théocratique, après l’avènement du comtisme, manque d’originalité parce qu’elle n’a plus de raison d’être. Son histoire est donc tout entière comprise entre 1600 et 1850.

Son évolution est due, comme l’évolution de toute pensée humaine, à des facteurs logiques et à des facteurs historiques. Il serait inexact de l’expliquer exclusivement par des circonstances contingentes ; la renaissance du théocratisme n’est pas seulement une entreprise contre-révolutionnaire : la preuve, c’est qu’elle est due à Bossuet et que les thèses essentielles de Saint-Martin sont antérieures la Révolution. De Maistre et de Bonald, s’ils ont voulu combattre la Révolution et la philosophie du xviiie siècle, ne l’ont fait qu’en développant des prémisses posées dès le xviie siècle.

Nous venons de résumer les principales conclusions de M. Falchi. Nous ne pouvons pas signaler toutes ses analyses qui sont souvent pénétrantes ; plusieurs doctrines oubliées ou négligées (celles de Bodin, de Suarez par exemple) sont étudiées avec beaucoup de soin dans son livre ; il excelle à retracer les divers moments de la pensée d’un auteur (voir, en particulier, ses chapitres sur J. de Maistre et sur Lamennais). Dans le détail, on relève sans doute quelques erreurs, surtout en ce qui concerne l’histoire de France (p. 197, la Régence du duc d’Orléans est datée de 1711 ; p. 204, Louis XV est confondu avec le duc de Bourgogne et désigné comme l’élève de Fénelon ; p. 412, la date de 1848 est attribuée au coup d’État de Napoléon III). Mais l’interprétation des doctrines est généralement exacte.

Nous nous demandons pourtant si l’auteur n’exagère pas quand il appelle méthode « inductive », la méthode des Bossuet, des de Maistre et des de Bonald. Sans doute, ces auteurs font appel à l’histoire, mais à une histoire singulièrement rétrécie ou