Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 6, 1908.djvu/25

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sa méthode pour trouver la valeur des formules données, pour les critiquer, ou pour constituer des formules nouvelles ? Remplacera-t-il l’idée de cause finale par exemple par sa signification pragmatiste : une vague confiance dans le futur ? Ou lui superposera-t-il simplement ce dernier sens ? Ou veut-il dire qu’indépendamment du bien fondé de la croyance, la croyance elle-même a une valeur ? L’idée de vérité aussi est équivoque dans le pragmatisme ; et même la théorie d’après laquelle une idée vraie est une idée qui satisfait, peut s’interpréter de façons diverses.

M. Dewey, en passant, ne ménage pas ses critiques ; et les idées pragmatistes doivent leur attrait, dit-il, la plupart du temps, à ce qu’elles combinent la banalité avec la fausseté. Il ne veut voir dans le pragmatisme qu’une orientation de méthode, distingue soigneusement son école du pragmatisme synthétique malgré toute l’admiration qu’il a pour James, son créateur, et surtout des théories de Schiller dont il n’accepte ni le personnalisme ni l’idéalisme. Le pragmatisme doit désormais se résoudre en ses éléments primordiaux et Dewey conclut par un appel au travail positif et spécialisé. Voici encore Strong (V, 256) de cette même école, qui voudrait délivrer la pensée pragmatiste de son practicalisme et de son psychologisme et faire ressortir son empirisme et romanti-intellectualisme. Fidèle aussi à cet esprit de complication et de distinction qui rend souvent le Journal pénible à lire, il ne se contente pas de distinguer la théorie épistémologique et la théorie psychologique dans le pragmatisme ; il reconnaît la valeur du pragmatisme en cinq sens différents.

Strong se déclare à la fois platonicien et pragmatiste dans sa communication à l’assemblée d’Ithaca ; le pragmatisme selon lui s’applique seulement aux vérités dont les conséquences sont à venir ; pour lui nous copions réellement les objets extérieurs ; la vérité est la potentialité des conséquences, et non les conséquences elles-mêmes ; et se représenter la communication de notre esprit avec les choses sans un abîme à franchir, à sauter, c’est nier l’élément platonicien dans le réel Ce sont presque les mêmes objections qui se trouvent sous la plume de Pratt, luttant encore avec James (V. 122) ; il croît aussi à la nécessité du saut, à l’erreur des pragmatistes quand ils appliquent leur théorie à des faits dont les conséquences sont données, et non pas futures, quand ils abusent du mot : « plan d’action » qu’ils appliquent à tort aux idées, le plan d’action est par delà le vrai et le faux. Dans un court et important article de réponse (Truth versus Truthfulness ; V, 179), M. William James admet derrière la vérité pragmatique, complètement et positivement établie (trathfulness), quelque chose qu’on peut nommer vérité par pure courtoisie et par nécessité pratique — ce qui pour M. W. James devrait être une raison péremptoire — et qui n’est en réalité, dit-il, que l’ensemble des conditions de la vérité. M. W. James conclut que la lutte entre le pragmatisme et l’absolutisme est un combat académique, une simple question de préséance. Si nous nous rappelons que M. Strong déclare s’être mis à peu près d’accord avec M. W. James, nous sommes amenés à croire que le grand philosophe de Harvard a conçu une sorte de platonisme, — mais ajoutons vite, un platonisme renversé pour lequel le monde des idées est un reflet affaibli du réel.

Nous croirions à un recul du pragmatisme si M. Dewey ne continuait ses études, et ne donnait comme un pendant à ses articles des Essays : après avoir montré l’élément pratique dans la réalité, il s’attache à faire voir l’élément personnel dans les idées (V, 85). « Une nouvelle ère de la philosophie commencera quand on reconnaîtra avec franchise ce caractère » ; il insiste aussi sur l’élément logique dans la vie mentale (V, 376) ; il célèbre la fin de l’associationisme, le développement de la psychologie fonctionnelle ou dynamique, qui ne s’occupe plus guère d’états de conscience, de relations entre les choses, mais qui s’exprime en termes de choses ; elle part de l’étude des crises, des problèmes, des jugements ; elle voit dans la connaissance un mode de contrôle et de réadaptation après ces crises, et dans la raison, une construction d’hypothèses efficaces, de croyances tentatives, expérimentales. M. Moore donne (V, 429) un exposé d’ensemble du pragmatisme : faut-il dire avec M. Bradley que la vérité est la satisfaction d’un instinct spécial ou avec M. W. James qu’elle répond aux exigences de nos instincts pris dans leur ensemble ? D’après M. Moore qui se rattache à l’école de Chicago, l’objet en se développant, donne naissance, lors d’une crise, à la fois aux matériaux de la pensée, et aux processus de la pensée. Le pragmatisme, c’est ce qu’il appelle the conflict mediational view of thought and its value.

Le journal nous fait assister cette année encore, en même temps que les Essays de Dewey, au développement de ce qu’on nomme là-bas le nouveau réalisme. Ce réalisme est la caractéristique des écoles pragmatistes américaines. M. Mac Gilary représente le « réalisme tentatif » (IV,