Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/13

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elle croit discerner dans la théorie de la connaissance les raisons profondes de l’évolution de la science, comme de la forme qu’elle a enfin reçue dans les temps modernes ; et d’autre part elle recueille avidement les résultats généraux auxquels arrive chaque science spéciale, afin d’y chercher les linéaments d’une cosmologie ou d’une psychologie concrètes qui confirment ou renouvellent ses conceptions originales ; enfin elle a une prédilection marquée — en souvenir de Platon et de Descartes, si l’on veut — une prédilection de sœur aînée, dirions-nous plutôt, pour les sciences mathématiques, ce grand art aux ressources inépuisables, né, lui aussi, de l’esprit humain.

Mais cependant la philosophie se refuse aux recherches de faits purement scientifiques, qu’elles se recommandent du nom de psychiques ou de psycho-physiologiques. Il faut le déclarer d’avance : ici elle n’apportera pas des faits, mais des idées. On répéterait volontiers avec une variante le mot de Platon que « nul n’entre ici, s’il n’est logicien ».

De même la philosophie n’est pas irréligieuse ; elle est plutôt essentiellement religieuse. On sait assez qu’on la retrouve au berceau des dogmes chrétiens. Et de nos jours encore, elle demeure, par opposition avec les sciences positives, la science des choses éternelles. Cependant elle ne se perd ni ne s’achève dans une religion positive ; elle n’est le vestibule d’aucune Église. Si le philosophe cherche, lui aussi, « la lumière et la paix «, c’est à la philosophie qu’il doit demander ces biens.

Elle ne se refuse pas non plus à la fréquentation des esprits cultivés ; elle est bien aise de ne pas se rendre illisible aux lettrés par la négligence ou la gaucherie de son style ; mais elle prétend parler sa langue toute formée d’abstractions soigneusement définies. Pour le dire nettement, elle est indépendante de la science, de la religion et du sens commun.

Elle ne l’est pas tout à fait de l’histoire ; mais là aussi elle se sépare de cette histoire qui considère les idées des penseurs comme des faits historiques et qui est une sorte d’érudition. Elle s’inquiète seulement de l’histoire des systèmes ou plutôt elle se rattache cette histoire comme faisant partie de son idée.

La philosophie ainsi entendue existe depuis des siècles ; elle n’est pas près de disparaître. C’est une erreur presque palpable d’imaginer qu’Auguste Comte ou tel autre penseur a fermé l’ère des systèmes, et que les conditions générales de la pensée ont changé tout