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Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/132

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sont, prises en soi, des quantités achevées au même titre que ce tout. Ainsi les deux suppositions que nous avons distinguées enveloppent une affirmation commune. En les posant comme seules concevables, on affirme que la quantité nous est nécessairement donnée toute faite, toujours en acte et jamais en puissance. On s’interdit d’appliquer aux grandeurs la catégorie du devenir. On écarte d’avance la notion d’une quantité qui se fait, qui n’est donnée à proprement parler ni dans sa totalité ni par parties successives, mais seulement dans sa loi de formation et, pour ainsi dire, en germe ; qui se produit devant nous par un processus ininterrompu. Or l’espace que parcourt un mobile et le temps qu’il met à le parcourir sont précisément les quantités de cette nature, et le mouvement n’est autre chose que le devenir de ces quantités. Ainsi les raisonnements de Zénon se fondent en dernière analyse sur un postulat non exprimé, et ce postulat contient lui-même la négation implicite du mouvement. En résumé, les célèbres arguments éléatiques nous semblent reposer sur une pétition de principe.

Ce qui rend ces sophismes difficiles à réfuter, c’est qu’ils découlent d’une apparence en un certain sens inévitable et qui a sa raison d’être dans la constitution même de l’entendement. L’hypothèse qu’ils sous-entendent s’impose en efîet à celui-ci comme principe régulateur dans son usage mathématique. Les opérations mathématiques ne portent jamais que sur des quantités nettement définies, c’est-à-dire achevées. L’entendement tour à tour les compose et les décompose ; mais il ne les forme jamais que d’éléments préexistants et ne les résout jamais qu’en parties qu’elles contenaient déjà. Comment pourrait-il découvrir entre elles des rapports précis, en d’autres termes immuables, s’il ne les supposait elles-mêmes immuablement déterminées. Même lorsqu’il étudie la loi de leurs variations continues, il doit, au moins provisoirement, assigner à leurs accroissements des valeurs fixes. Il est impuissant à saisir la continuité comme telle. Il n’arrive à la concevoir et à la définir que d’une manière indirecte et négative. Ce n’est pour lui que l’indétermination des parties d’un tout sous le double rapport du nombre et de la grandeur. Il dénature ainsi la vraie notion du continu qui exclut précisément toute idée de composition et de parties. Mais il ne saurait faire autrement. Le rapport des parties au tout est sa catégorie fondamentale. Toutes les autres relations n’existent pour l’entendement mathématique qu’en tant qu’elles peuvent se réduire à celle-là et dans la mesure