Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/140

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qu’elle se déploie et se met en valeur. Il n’y a donc pas de vérité distincte des idées : la vérité, c’est uniquement l’unité logique des idées.

Et pour la même raison il n’y a pas non plus de morale, si l’on entend par là un art humain qui doive s’assujettir à des règles et prendre pour objet quelque qualité universelle ; il n’y a pas de morale, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de discipline extérieure qui vaille, de légalité pratique qui puisse s’imposer à l’être par la seule force de ses sanctions ; il n’y a pas de morale enfin, parce que les préceptes que l’on couvre de ce nom se rapportent à des notions abstraites qui n’ont pas de contenu réel, qui finissent par être indiscernables et par laisser se dissoudre dans le vide de leur généralité la distinction formelle du bien et du mal. Le plus grand effort de vertu individuelle consiste à nier la morale.

C’est donc à son être propre que l’homme doit revenir ; quand il se détourne de lui-même, il se détourne de Dieu. Jamais d’ailleurs il ne peut se déprendre de sa nature et de ses penchants : il est toujours présent à lui-même dans tout ce qu’il fait, dans tout ce qu’il est. Tous ses actes, quels qu’ils soient, relèvent de cette tendance à persévérer dans l’être, qui est son essence même. Il est constitué tout entier par son désir de vivre, et c’est ce désir qui, dans la mesure de sa puissance interne, se crée son objet. Il est donc, en tant qu’individu, pleinement autonome, puisque le désir par lequel il est ne repose que sur lui-même, puisque ce désir, au lieu d’être déterminé, comme le pensaient les anciens, par le désirable qui l’attire, se détermine de lui-même à ce qu’il fait désirable. En d’autres termes, le désir vaut par lui-même et non par ce qu’il poursuit ; il a sa fin en lui-même et non dans les choses auxquelles il s’applique : il trouve son objet adéquat quand il se saisit lui-même en son principe et comme à sa racine : il est alors l’identité de l’individu avec soi. Par suite, dans la nature, rien n’a de sens que par rapport à l’individu : est bon ce que l’individu poursuit, est mauvais ce que l’individu repousse. C’est vainement que l’on prétend qualifier en général l’univers et la vie : toute la signification de l’univers et tout l’intérêt de la vie sont dans l’individu.

D’où viennent cependant, si l’individu est le centre de tout, l’inquiétude et la souffrance ? Elles viennent de ce que l’homme travaille précisément à réaliser ce qui n’est pas lui, ce qui par conséquent le nie. Au lieu de se constituer dans ce qu’il est véritablement, il