Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

espérance religieuse. Il faudrait donc, en définitive, renoncer à expliquer toute espèce de synthèse, aussi bien la vie que l’esprit. Et l’activité pratique elle-même ne saurait atteindre un acte absolu de ce genre. Il est donc vrai d’affirmer avec M. Dunan que d’après la philosophie abstraite du devoir-être, l’idée reste extérieure à la tendance et au désir (la nature), mais on ne saurait tirer de cette constatation la conséquence qu’en déduit M. Dunan, à savoir, que ce système ne saurait nous satisfaire parce qu’il n’explique pas l’action de l’idée sur la nature. On ne prétend nullement expliquer l’action synthétique de l’idée sur la nature, on nous propose, bien au contraire, de réagir contre la nature, de nous modeler sur l’idéal de la raison et de faire vers cet idéal un perpétuel effort.

Mais M. Dunan a d’autres griefs contre la finalité transcendante. S’il la rejette, au fond, c’est qu’il veut poser comme concrète et immédiatement présente cette synthèse que notre raison exige. Et c’est ainsi qu’il arrive à définir la vie comme « unité substantielle », comme « le tout d’une multiplicité non totalisable ». Ce principe original, cette synthèse primitive est antérieure à notre pensée analytique, dont la seule action consiste à séparer les termes de cette synthèse originale. Ainsi donc le contenu de la vie nous échappe : M. Dunan est bien forcé d’admettre une certaine relativité dans notre pensée ; et il se rapproche par là des conclusions du finalisme kantien qui affirme que le fond des choses nous est inaccessible et que nous ne pouvons connaître qu’une loi. Mais l’opposition subsiste toujours entre la philosophie de M. Dunan et celle de la finalité transcendante. C’est que M. Dunan place la synthèse absolue dans la nature, dans la vie, qui est en deçà ou au-dessous de l’esprit, tandis que la philosophie de la finalité abstraite la rejette au delà de l’esprit. Si bien que pour cette dernière philosophie, la loi est absolument distincte, pour nous du moins, de la réalité dernière ; la forme la plus élevée de l’esprit sera donc un devoir-être abstrait. M. Dunan, au contraire, croit pouvoir affirmer que pour la véritable métaphysique la loi de l’univers est le devenir concret : loi concrète en ce sens que si la pensée est bien extérieure et toujours inadéquate au contenu réel, ce contenu réel est toujours immédiatement présent sous elle et la soutient en quelque sorte. De ces deux points de vue opposés, quel est le plus logique et le plus satisfaisant ? La philosophie législative n’est-elle pas en droit de prétendre rendre compte plus clairement de notre nature, puisque, sans méconnaître la réalité de ce fond mystérieux, elle reconnaît qu’il est impossible pour nous de le saisir. Il semblerait donc qu’on pût renoncer à expliquer d’une manière définitive la synthèse originale des choses et se contenter d’une méthode abstraite suffisante (en tant que méthode mécaniste) pour expliquer scientifiquement la nature, et (en tant qu’idée régulatrice ou finaliste) pour fonder notre moralité. La substance serait bannie de la philosophie, à proprement parler, et rejetée dans un monde religieux que notre pensée finie ne saurait atteindre. Au point de vue de la logique abstraite, la tentative de M. Dunan peut paraître inutile.

Mais il se peut que la logique abstraite n’exprime pas toute la réalité. Elle laisse les choses dans un état d’opposition : d’une part, elle suppose un certain contenu sans lequel elle s’évanouirait dans l’indétermination ; d’autre