Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/193

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l’État ; mais l’État ne crée pas la garantie ; il n’en est qu’une forme supérieure ; et là où il n’est pas encore fortement constitué, on connaît déjà une contrainte, fondée sur la solidarité naturelle : la rupture des rapports sociaux avec la partie réfractaire à l’arbitrage. Or cette rupture serait sans effet, si la société n’était qu’une juxtaposition d’individus. Loin donc que le droit s’appuie sur la liberté naturelle, celle-ci en est un dissolvant ; et la guerre est sa vraie forme.

L’idée de délit. — 1. La conscience du conflit, qui appelle l’arbitrage et la garantie, suppose la présence d’une activité étrangère à la sociabilité et qui est la cause du conflit ; et elle enveloppe ainsi la notion du délit. Cette notion précède donc la notion du droit. On le prouve dialectiquement, en montrant que de l’idée pure des droits naturels on ne peut faire sortir la notion juste des délits qui en seraient la violation, tandis que la notion des droits résulte immédiatement de la conscience des délits jointe aux idées d’arbitrage et de garantie. De même les institutions qui sont la base de l’ordre juridique (mariage, propriété, contrat) ne pourraient se justifier, si l’on partait de la seule idée du droit de l’individu fondé sur la personnalité libre.

2. Formation de la notion du délit. — Si le délit était une création de la loi, son antériorité par rapport au droit impliquerait la suppression de toute distinction du droit naturel et du droit positif ; mais le délit est déterminé par les sentiments sociaux, avant de l’être dans l’État par la loi. La notion de délit représente la persistance, au sein même de la société, de la lutte pour l’existence ; le crime, c’est « l’égoïsme absolu, la volonté de vivre pour soi seul, de ne connaître que ses fins propres dans l’univers ». Il n’y aurait donc ni délit, ni droit, si la société n’était pas une réalité vivante. Le droit, « pouvoir conscient qu’a la société de se conserver, de se restaurer elle-même, de prévenir les causes de destruction avant qu’elles n’agissent », est la vie même de la société, et la conscience du délit en est l’élément capital.

3. Variabilité de la notion du délit. — Ici surgit une difficulté : la notion du délit est variable dans le temps et dans l’espace : le droit, qui en dépend, serait donc variable. L’ancêtre de l’homme civilisé n’était assurément pas réfractaire à la civilisation ; mais le sauvage a du délit une idée toute différente de la nôtre ; seulement les faits prouvent que le sauvage est non un être égoïste, mais un être émotionnel, comme l’enfant, et la différence que nous présente son développement comparé à celui du civilisé tient à la différence des circonstances. — Quant aux actes d’abord réputés criminels, et que le progrès du droit a légitimés, ils s’expliquent par ce que l’altruisme peut gagner en profondeur comme en étendue, et ainsi arrive à condamner des institutions qui ne pouvaient l’être dans un état social plus imparfait.

Le droit varie dans une société avec chaque moment de l’histoire, mais à une époque donnée, pour qu’il soit, il suffit qu’il soit conçu par une partie de l’humanité, et par là le droit individuel est solidaire du droit international, qui implique la conscience d’un contraste de la guerre et du crime.