Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/201

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dès le début expressément présente à la conscience de l’homme, mais plutôt qu’elle s’offre assez distincte à nous pour que nous puissions la saisir et la formuler. Sans doute cette idée surpasse infiniment ce dont nos mœurs admettent la pleine réalisation, ou même ce qu’expriment les législations positives ; et nous pouvons la comparer à la lumière qui marche en avant, et qui nous sert de guide ; mais cette idée n’est pas abstraite ; elle est bien vivante ; elle traduit un fait, le fait de la conscience ; elle est l’expression distincte de la nature même de la personne humaine. N’est-ce pas un droit pour notre pensée de partir de la conception claire et nettement définie qu’elle se fait de son objet, et qui marque la part d’idéalité qui est en lui ? Seulement, si l’idée claire du droit peut en exprimer les éléments essentiels, elle n’en épuise pas le contenu ; et le métaphysicien du droit, qui s’occupe non des principes de la raison abstraite, mais des principes de la pratique, ne doit jamais abandonner les faits ; il doit à chaque instant s’appuyer sur l’expérience, et chercher quelles conditions elle impose à la réalisation de l’idée, dans quelles notions multiples et plus complexes elle l’enveloppe et souvent nous la cache. À ce prix ses conceptions auront une portée pratique ; entre le droit positif, c’est-à-dire l’ensemble des institutions ou des coutumes juridiques existantes et variables, et le droit idéal, c’est-à-dire ce développement supérieur de la solidarité qui est déjà conçu sans être réalisé ni pleinement réalisable, il pourra intercaler des moyens termes, des conceptions intermédiaires, qui pourraient servir à préparer l’évolution graduelle de l’un vers l’autre. Le droit idéal que formule le métaphysicien doit être toujours une limite dont le droit positif puisse être insensiblement rapproché dans le temps. Cette méthode de recherche est entièrement conforme aux exigences d’une pensée difficile qui, voulant à la fois la clarté dans l’idée et la connaissance totale de son objet, et ne pouvant arriver à celle-ci comme d’emblée, a recours à l’analyse, et sépare ainsi, mais pour en faire ensuite la synthèse, et sans jamais les opposer radicalement, l’idée d’une part, et de l’autre, le fait.

Si nous avons pris contre M. Richard la défense de la métaphysique du droit — sans prétendre d’ailleurs que l’œuvre de Spinoza, de Rousseau, de Kant ou même de Fichte puisse subsister sans modification, — nous n’avons pas voulu dire qu’il n’y ait rien à retenir des théories personnelles de l’auteur et de la méthode qu’il propose. Rien ne démontre a priori, selon nous, dans la question qui nous occupe, la supériorité de la méthode réaliste ; mais rien n’en interdit non plus l’usage. Il nous semble seulement, et c’est ce que nous voudrions indiquer maintenant, que M. Richard ne l’a pas assez nettement définie, ni même assez complètement pratiquée.

Il faut le louer tout d’abord d’avoir établi l’insuffisance dans les recherches sociales d’une expérience exclusivement objective, d’avoir mis au premier plan dans les faits la conscience, et dans la conscience replacé l’altruisme à côté de l’égoïsme. Par là seulement il devient possible d’interpréter les faits historiques et ethniques. Et si l’on peut remonter assez haut ou pénétrer assez loin dans la connaissance des idées et des sentiments de l’humanité, on pourra assister à la lente élaboration à travers les siècles