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Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/222

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indéfiniment divisibles. » M. Tannery, plus conséquent avec lui-même, et plus rigoureux, avait admis que les distances, par exemple celle qui sépare Achille de la tortue, sont représentées par un nombre infini de points. À cette condition seulement il y aurait dans les thèses de Zénon une unité de vue parfaite.

Il est vrai qu’il resterait à prouver que telle était bien la pensée de Zénon. Or les textes ne disent rien de semblable. Dans le passage d’Aristote où ces arguments sont rapportés, il n’est question que de distances, d’intervalles, de grandeurs sans autre détermination. Or, si l’on songe que les arguments contre la pluralité (Simplic., Phys., 30, A) reposent sur la divisibilité à l’infini de la matière (ἐπ’ ἂπειρον τομή), il restera beaucoup plus vraisemblable que les deux premiers arguments contre le mouvement, la Dichotomie et l’Achille, sont dirigés aussi contre l’hypothèse de la divisibilité à l’infini, et que par suite ils forment avec les deux derniers les deux branches d’un dilemme, ainsi que M. Renouvier le premier l’a reconnu.

Au surplus, cette interprétation ingénieuse d’ailleurs, qui considère les arguments de Zénon comme dirigés uniquement contre la théorie pythagoricienne selon laquelle les corps ne sont que des sommes de points, aurait besoin d’être appuyée sur des textes. Il n’y en a pas un. C’est une pure conjecture. Et cette conjecture est ici encore contredite par les textes de Platon. Dans le Sophiste (242, D), Platon oppose la thèse de Parménide et des Éléates non pas aux Pythagoriciens, mais aux Muses ioniennes et siciliennes : et le contexte prouve qu’il s’agit d’Héraclite et d’Empédocle. De plus, la thèse est entendue ici en un sens tout métaphysique ; il s’agit non de telle ou telle théorie sur la composition des corps, mais de l’unité de l’être en général. Toute la discussion qui suit en fait foi. S’il en est ainsi et si, comme l’atteste encore Platon (Parm, 128, C), Zénon n’a fait que défendre les thèses de son maître contre ceux qui les tournaient en ridicule, il faut conclure que les arguments de l’Éléate étaient dirigés contre ceux qui affirmaient la multiplicité de l’Être, de quelque manière qu’on l’entende. Comme pour les Ioniens, l’Être était la matière qui tombe sous les sens, Zénon avait absolument le droit de dire : si cet être est composé de parties, il est divisible à l’infini, ou formé d’indivisibles : et il prouvait que l’un et l’autre terme de l’alternative est absurde. L’argument portait donc contre l’idée de la pluralité en général. C’est une thèse toute métaphysique, et non pas physique ou mathématique.