Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/233

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français et dont j’avais fait l’introduction. On s’en était occupé un moment. Mais la diversité même des jugements avait fait voir combien la nouvelle doctrine était mal comprise. On s’était attaché à des analogies superficielles, et, suivant son goût, chacun avait traité l’auteur de mystique ou d’athée, de sceptique ou de dogmatique extravagant. Des critiques distingués l’écartèrent même d’un mot dédaigneux, et le silence s’était fait de nouveau. Spir voulait cependant donner une suite à ces Esquisses. À tort ou à raison — le système des petits paquets ne vaut pas mieux, je crois, en philosophie qu’à la guerre, — je voulus l’en dissuader, et j’eus beaucoup de peine à y réussir. Je l’engageais à remanier plutôt et à publier en français l’exposition complète et systématique de sa pensée. Mais il n’avait plus la force d’entreprendre un si grand travail. Il vécut encore un peu plus de deux ans, entre sa femme et sa fille, dont l’affection, non pas indifférente, mais peu familière aux spéculations philosophiques, adoucissait cependant l’amertume d’un isolement de plus en plus complet. Il continuait à écrire, mais par fragments séparés, au gré de l’inspiration, en croyant, à chaque article, que ce serait le dernier, et il ne faisait rien imprimer. À la fin pourtant, il publia sans nom d’auteur une petite brochure sur deux questions vitales, comme le titre l’indiquait : la Connaissance du bien et du mal, et l’Immortalité de l’âme. Ce fut son testament spirituel.

Notre correspondance s’était ralentie après quelques malentendus de doctrine dont il s’était lui-même, sans en être plus coupable que moi, excusé en des termes qui font bien voir avec la nature de ses convictions la noblesse de son caractère : « Notre correspondance, dans ces derniers temps, a dû laisser une impression pénible chez vous comme chez moi, et, en y réfléchissant, je vois qu’il y a eu là beaucoup de ma faute. Je ne suis pas fait pour la lutte et j’aurais dû ne m’engager dans aucune controverse, mais décliner dès l’abord, doucement mais fermement, de répondre à des objections… Au lieu de cela, voyant que vous répétez toujours les mêmes objections sans vouloir examiner l’exposition des choses, je me suis fâché, et cela était déraisonnable. Mais je ferai bonne garde pour que cela n’arrive plus à l’avenir. En général, je me suis jusqu’à présent occupé trop exclusivement de la philosophie théorique, et il est vraiment temps que je commence, au moins dans ma vieillesse, de m’occuper de philosophie pratique, dont le premier précepte est de conserver l’équanimité (s’il y a un tel mot en français), qui m’a souvent fait