Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/248

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dont il est impossible de nier, dont il est impossible aussi d’expliquer l’existence, dans laquelle il nous est donné cependant, avec la réflexion et l’application nécessaires, de discerner ce qui est réel en tant que phénomènes liés, nos sensations objectives et subjectives, sensations proprement dites, sentiments, idées, déterminations, de ce qui apparaît et n’est qu’illusion, les corps et les esprits ; de l’autre côté, ce qui est réellement en soi, ce qui est intelligible par soi, indépendant de toute condition, l’être identique à lui-même, un et simple, que l’expérience ne saurait atteindre, l’absolu, dont la notion, vide de tout contenu empirique, n’est pas, comme l’idée cartésienne de Dieu, a priori dans notre esprit, mais résulte avec une parfaite évidence d’un raisonnement fondé sur la loi même de notre pensée, sur le principe d’identité fécondé, en quelque sorte, par son opposition même aux données de l’expérience.

Vide de tout contenu, parce que l’expérience seule donne un contenu à nos idées, cette notion est donc celle de l’être dont nous pouvons seulement affirmer qu’il est. Au delà, il ne faut pas hésiter à dire qu’il n’est ni connu, ni connaissable. Nous ne le connaissons, s’il est permis de parler ainsi, que négativement, c’est-à-dire en niant de lui toute diversité, toute multiplicité, toute composition et tout changement, toute fausseté et tout mal. Il est, il possède la plénitude de l’être, et, en lui refusant toutes les déterminations de l’individualité, de la personnalité, loin de l’appauvrir, comme on paraît souvent le craindre, nous l’enrichissons. Nous ne pouvons rien en dire, il est vrai, mais c’est que notre langue n’est faite que pour exprimer les phénomènes et les apparences de notre monde. Nous devons croire en lui, et, comme Elsa croit ou devrait croire à Lohengrin, l’aimer sans le connaître, sans désirer, dès cette vie, le connaître.

Et nous devons l’aimer, moins peut-être pour ce qu’il est en lui-même et qui forcément nous échappe, que pour la lumière que la croyance en lui répand sur toutes choses, pour le sens qu’elle donne à la vie. Indépendamment des raisons spéculatives qui la justifient, elle se fortifie encore, en effet, par ses conséquences pratiques. Sans doute, des philosophes ont pénétré de tout temps la vanité des choses sensibles et de notre existence elle-même ; mais la plupart se sont abîmés dans le désespoir, ont aspiré au néant. Ils ne croyaient pas à l’absolu, ils n’avaient pas réfléchi sur la loi de la pensée, ils n’avaient même pas compris que le mal, par cela seul qu’il est la