Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contradictoire, à la fois un et multiple, grand et petit, lorsqu’il est décomposé en attributs, en éléments intelligibles[1]. Socrate, grand par rapport à Théodore, est petit par rapport à Théétète, — grand l’an passé par rapport à Théétète, il est petit cette année par rapport au même Théétète, quoiqu’il soit, absolument et comme être substantiel, reste identique à lui-même[2]. Donc l’être, pris comme sujet, est contradictoire. Si donc la philosophie ne peut traiter de l’être ni comme sujet, ni comme attribut, il reste qu’elle renonce absolument à traiter de l’être, qu’elle renonce à être une théorie de l’être pour devenir une théorie de l’idée. L’être (τὸ ὐν, Théétète) sera désormais, purement et simplement, l’unité logique, l’identité, l’adéquation de l’idée (τὸ αὺτό, Sophiste). Le point de vue de l’attribut est substitué par Platon au point de vue du sujet. De Socrate, pour reprendre l’exemple cité tout à l’heure, on ne peut rien affirmer absolument : l’absolu n’est pas un être, une substance, un sujet. Mais on peut, à propos de Socrate, réalité individuelle et sensible, considérer abstraitement, ou, dans un nouveau sens, absolument, l’attribut même de grandeur qui en est affirmé. L’attribut de grandeur ne peut jamais être pensé que par rapport à l’attribut de petitesse. L’idée de grandeur est l’idée d’une relation, l’idée du grand en fonction du petit. L’absolu est une idée, une relation. L’office du philosophe est de dresser une table des idées, des formes nécessaires de nos affirmations — de faire, en un mot, une doctrine de la science. On conçoit dès lors de quel secours un ouvrage du genre de celui de Théon de Smyrne peut nous être, si nous désirons pénétrer dans le détail de la théorie platonicienne des idées.

L’arithmétique, dans ce système des idées, dans cette dialectique, va-t-elle constituer le premier moment ? Pour se convaincre que non, il suffit de se reporter à la définition même de la monade, ou unité, telle que nous la trouvons chez Théon. « L’unité est immuable, elle ne sort jamais de l’identité de sa nature (τἠς αὺτἠς φύσεως, M. J. Dupuis traduit : de sa propre nature) ; … C’est en elle que demeure tout ce qui est intelligible,… car nous concevons chacune de ces choses comme étant une et comme existant par elle-même. » En d’autres termes, l’unité vraiment première, ce n’est pas l’unité numérique, mais l’unité logique, l’harmonie interne des éléments de l’idée, l’identité de l’idée avec soi-même, — ce n’est pas l’un en fonction du multiple, mais le même en fonction de l’autre. La dialectique platonicienne pouvant se définir une réduction du sensible à ses éléments intelligibles, une critique de l’idée confuse, le premier moment de la dialectique sera évidemment, là où le sens nous présente une confusion du même avec l’autre, de démêler une dualité d’attributs : ces deux attributs pourront être, dans l’espèce, le lourd et le léger, le chaud et le froid ; — ils seront toujours le même et l’autre. Toute idée, par là même qu’elle implique un nombre déterminé, un nombre fini de caractères, en exclut un nombre infini (περὰς ἂπειρον)[3] ; une idée est une certaine mesure de l’infini par

  1. Rép., 123 c.
  2. Théétète, 155 b c.
  3. Soph., 256 e.