Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/301

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sous l’apparence sensible, la vérité absolue et irréfutable (ὰνέλεγκτος λόγος) : ces sciences sont celles dont nous avons essayé de retracer la dialectique, en nous appuyant sur les documents fournis par Théon de Smyrne : et M. Bénard a tort, notamment, si nous ne nous trompons, de classer l’astronomie platonicienne côte à côte avec la théorie géométrique des éléments, la théorie physiologique de l’organisme humain, et l’essai de réduction mathématique des qualités sensibles. « Platon est Grec ; il divinise les astres et la nature entière. » Sans doute, au point de vue du mythe. Mais, si, lorsque nous nous plaçons au point de vue du réel, tout doit nous apparaître comme spirituel et divin ; le réel doit, en dernière analyse, être résolu en idées, en éléments intelligibles. Or l’astronomie, selon Platon, nous fournit l’exemple d’une telle résolution : les phénomènes célestes sont le symbole sensible des lois abstraites du mouvement. — Au contraire, d’autres théories physiques, telles que la théorie géométrique des éléments et la théorie mécanique des qualités sensibles, sont des vraisemblances, des hypothèses ; leur caractère hypothétique repose sur une première hypothèse, l’hypothèse d’une matière, qui n’est saisie ni par le νόησις ou réflexion critique sur les conditions idéales de la pensée, ni par la δόξαμετ’ αὶσθησεως, ou jugement sensible, mais par un raisonnement bâtard (λογισμὸς τις νόθος)[1]. Ce raisonnement bâtard, il n’en faut pas chercher le développement dans un grand dialogue, de caractère poétique et dogmatique, tel que le Timée. Mais de même que le Charmide est peut-être plus instructif sur la théorie platonicienne de la vertu que la République elle-même, parce que la marche dialectique s’y montre à nu, de même c’est au Lysis que nous proposerions de demander une interprétation de la théorie de la matière, exposée dans le Timée.

Il faut, pour fonder la pensée, une identité ; intelligibilité, c’est identité (τὸ ὰυτό). Mais le mot identité peut être pris dans deux sens très différents. D’une part, pour que la science soit, il faut et il suffit qu’identité signifie : adéquation de l’idée, identité non dans l’objet extérieur de notre affirmation, mais dans la forme, ou loi, de notre affirmation, prise elle-même pour objet. Pour que la géométrie subsiste, par exemple, peu importe que je puisse ou non affirmer absolument la grandeur ou la petitesse de Socrate, de Théodore ou de tel autre individu sensible, pourvu que dans mon affirmation sensible (δόξα), je puisse dégager et poser absolument la relation même du grand au petit. Cette relation reste identique à elle-même, à tous les instants du temps, en tous les points de l’espace : l’idée, c’est l’identité d’une relation. — Mais nous pouvons raisonner autrement, nous pouvons, étant donnée une chose sensible, en chercher non les conditions d’intelligibilité, mais les conditions de réalité, ou plus exactement, de réalisation, considérer l’idée non plus comme étant (τὸ ὄν), mais comme devenant (τὸ γιγηόμενον). À ce point de vue nous concevons l’apparition de l’idée comme précédée et suivie de l’apparition d’autres idées, comme soumise à la loi du temps et de la causalité ; « car tout ce qui devient a une cause[2] ». Or,

  1. Timée, 52 a. b.
  2. Ibid., 28 a.