Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/33

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Celui qui crut avoir sapé à jamais par la base toute métaphysique, et qui n’a ruiné qu’une métaphysique apparente voulut rouvrir par la morale la route de l’infini et de l’absolu. Mais sa morale se réduit encore comme il a prouvé que s’y réduit la métaphysique de l’imagination, à une forme vide de contenu, une loi de « devoir » sans justification et sans applications déterminables.

Il y a un « devoir » ; mais quel est ce devoir ? La vraie métaphysique prépare la réponse. Le devoir est de ressembler à Dieu, notre modèle comme notre auteur, et si Dieu est ce qui se donne, de nous donner. La loi suprême tient alors dans un mot proposé par Descartes : générosité.

Générosité, le mot le dit, c’est noblesse. Le généreux, dit Descartes, c’est celui qui a la conscience en soi d’une volonté libre par laquelle, indépendant des choses, il est maître de lui-même. Ajoutons : d’une volonté qui vient de plus haut que lui, et qui l’affranchit de sa propre individualité, laquelle, exclusive, serait l’égoïsme, et le porte, comme dit Pascal, au « général ». Cette volonté libre que le généreux éprouve en soi, il la reconnaît comme une pièce essentielle de leur nature chez tous ceux de son « genre », chez tous ses semblables. On peut ajouter qu’il la conçoit, s’il ne l’éprouve, mieux encore chez eux que chez lui-même, l’y voyant, ou croyant l’y voir, affranchie d’un mélange d’éléments inférieurs dont il expérimente en soi la nuisible présence.

Le généreux est donc porté à l’amitié. Aimer est le propre des grandes âmes, et l’amour, ou l’amitié, fait qu’on tient plus de compte de ce qu’on aime que de soi.

« Les maux qui nous touchent nous-mêmes, dit Descartes, ne sont point comparables à ceux qui touchent nos amis, et au lieu que c’est une vertu d’avoir pitié des moindres afflictions qu’ont les autres, c’est une espèce de lâcheté de s’affliger pour aucune des disgrâces que la fortune peut nous envoyer. — Quand deux hommes s’entr’aiment… chacun d’eux… estime son ami plus que soi-même. »

Et c’est le caractère de ceux que l’antiquité nomma d’un mot les magnanimes. « C’est le propre de ceux dont l’âme est grande, dit le philosophe français, d’être peu sensibles à leurs propres maux et beaucoup à ceux des autres. »

Tel est l’idéal qui représente dans la sphère de la pratique la théorie métaphysique telle qu’elle parait sortir des méditations des plus profonds penseurs. Cet idéal moral fut celui auquel tendirent