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dichotomie et l’Achille, visaient sans doute les mathématiciens et leur infini ; les deux autres, le stade et la flèche, les partisans de la division limitée et des éléments de grandeur. Il semble donc que la situation prise par Zénon ait été celle-ci : ou l’espace dans lequel le mouvement paraît se produire est divisible à l’infini, ou il ne l’est pas. En tout état de cause, et quelque hypothèse que l’on adopte, le mouvement attesté par l’expérience est rationnellement impossible.

C’est sur ce thème que se sont depuis exercés, à maintes reprises, mathématiciens et philosophes, sans que les uns ou les autres, adversaires ou partisans de Zénon, aient pu réussir à faire prévaloir sans conteste leurs sentiments. À vrai dire, les seuls arguments qui se soient toujours maintenus au premier plan dans la discussion sont ceux contre lesquels les partisans de l’infini ont compris qu’ils devaient diriger toutes leurs attaques, la dichotomie et l’Achille. Les autres, moins populaires, semble-t-il, sont restés le plus souvent dans la pénombre. C’est sans doute que leur couleur plus sophistique ne permettait guère de les regarder comme bien redoutables ; c’est aussi, peut-être, que les rares penseurs qui, à diverses époques, ont pu se soustraire au préjugé courant et prendre parti pour la division limitée, n’ont démêlé très nettement ni leur sens exact ni la portée qu’ils pouvaient avoir contre eux.

Il faut remarquer toutefois que le mouvement qui s’est dessiné de nos jours en faveur de la dialectique d’Élée leur a valu à eux-mêmes une autorité nouvelle. Des critiques contemporains ne leur accordent guère moins de crédit qu’aux deux arguments les plus connus. M. Noël leur croit plus de portée encore, et dans l’étude où il les juge, il les regarde comme de tous points inattaquables et décisifs.

Voici en deux mots la pensée de ce philosophe sur le problème pris dans son ensemble. Selon lui, les objections de Zénon ne sont pas moins fortes dans l’hypothèse d’une étendue où la division finit que dans celle d’une étendue infiniment divisible. Le monde se trouve ainsi condamné au repos. E pur si muove ; il est quand même en mouvement, il est quand même mouvement, dit-il à son tour. Il faut donc que l’argumentation de Zénon laisse une issue. Sans doute, et la voici : Le nombre des parties de l’espace ne sera ni fini ni infini si l’espace n’en enveloppe aucun nombre. Or telle doit être la vérité. Pris en lui-même, et abstraction faite des divisions qu’après coup la pensée y dessine, l’espace n’a pas de parties, ou, s’il en a, elles n’y sont qu’en puissance, mêlées et fondues ensemble, sans qu’on doive jamais les imaginer juxtaposées et distinctes, prêtes d’avance, comme les cases d’un damier, à recevoir le mouvement.

Le mouvement, à son tour, est, dans cette hypothèse, tout autre que Zénon ne l’imagine. N’y voyons plus l’occupation successive de lieux contigus, mais le passage continu et comme l’imperceptible glissement d’un point à un autre. En lui rien d’accompli ni d’achevé, sa définition le veut. Là où il se termine, il n’est plus. C’est la marche avant l’arrivée, le progrès avant le but. Sa loi n’est pas d’être, être et repos s’appelant mutuellement, mais de devenir.

Cette conception, toute pénétrée de l’esprit de Hegel, devait se produire ;