moi, et dont il tient peut-être un compte insuffisant ? Zénon indiquant à Socrate quel est le véritable but de sa dispute ne fait pas la moindre allusion à la négation du mouvement. — Cela n’est-il pas vraiment significatif ?
II. — Il me reste à répondre à la critique de M. Brochard relative à la pluralité. Je crains ici de n’avoir pas été suffisamment clair. Si j’ai mal rendu la pensée de M. Brochard en disant qu’il voit dans la pluralité combattue par les Éléates la décomposition possible et illimitée du continu en parties, ce n’est, d’après son explication même, que parce que j’ai opposé ensuite cette pluralité à la pluralité en acte. À ses yeux, l’une est inséparable de l’autre quand il s’agit de Zénon ; mais c’est ici précisément que je n’ai peut-être pas été bien compris : ce que M. Brochard ne veut pas séparer, à tort ou à raison je le sépare, et je crois que les Éléates ont nié la pluralité en acte, la décomposition réelle du continu en parties, mais ont admis la possibilité pour lui d’être indéfiniment divisible ; de sorte que j’aurais, je crois, évité tout malentendu en disant : dans la pluralité combattue par les Éléates, M. Brochard ne sépare pas la décomposition possible de la décomposition réalisée, tandis que je crois qu’il ne s’agissait pour Zénon que de la pluralité en acte, celle qui permet de dire que la chose a en elle-même un nombre, ou est un nombre. Zénon n’aurait contesté que le continu réellement divisé, et non le continu divisible. Des distinctions de ce genre n’ont été clairement formulées qu’à partir d’Aristote, mais autre chose est enregistrer savamment des distinctions subtiles, autre chose les faire instinctivement. Ici d’ailleurs, il s’agit moins dans ma pensée de l’opposition de l’abstrait et du concret que du construit et du donné. Ainsi comprise, l’attitude des Éléates nous apparaît comme ayant eu pour effet, mais non évidemment pour but explicitement indiqué par eux, de dégager les choses, le donné, de toute dépendance réelle à l’égard du nombre, et par conséquent de rendre à celui-ci son caractère conceptuel. Cette vue mieux expliquée suffira peut-être à donner à notre interprétation l’unité qu’exige avec raison M. Brochard.
Quant à l’opposition des Éléates aux Pythagoriciens sur le point spécial de la pluralité admise par ceux-ci, combattue par ceux-là, M. Brochard ne se montre-t-il pas quoique peu sévère quand il la déclare contredite par le passage du Sophiste où il est question des Muses d’Ionie et de Sicile ? Platon, si je comprends bien, fait une énumération où figurent d’abord ceux pour qui les êtres sont plusieurs, — puis l’école d’Élée pour qui l’être est un. — et enfin, venues plus tard, les Muses d’Ionie et de Sicile qui concilient les deux systèmes en présentant l’être comme un et plusieurs. Les Éléates ne sont-ils pas ainsi opposés plutôt à des devanciers mal désignés qu’à Empédocle et à Héraclite ? Et, en tout cas, il s’agit là de rapprochements naturels tels qu’en présentera, par exemple, sans cesse M. Tannery, quand il voudra faire la lumière dans la succession des thèses cosmologiques ou physiques, sans qu’on soit en droit d’y voir rien de contradictoire avec ce point spécial que la dialectique de Zénon serait dirigée contre les Pythagoriciens.
Au surplus, faut-il s’étonner outre mesure qu’on ne s’accorde pas abso-