Une substance qui demeure identique à elle-même derrière les phénomènes qui changent, ne peut être qu’un corps ; l’esprit est une activité, dont les lois sont immanentes aux faits qu’elles régissent, dont les virtualités se révèlent par leur constante efficacité. Dès lors deux solutions seulement sont possibles : il faut admettre ou que cette activité psychique ne cesse pas, alors que cesse la conscience que nous en pouvons avoir, et c’est la solution de Leibniz, rejetée par M. Desdouits ; ou que, ces formes et virtualités disparaissant avec l’acte même qui les manifestait, la pensée n’a qu’une existence intermittente, et c’est la solution matérialiste. Si la philosophie de la conscience échappe à ce dilemme, c’est uniquement qu’elle ne pousse pas l’analyse assez loin ; on peut dire que le spiritualisme classique s’est attardé aux solutions qui lui sont chères, parce qu’il s’est arrêté à moitié chemin. Pour qui en approfondit, intrépidement et impartialement, les principes, il est difficile de nier qu’ils ne soient de nature à donner gain de cause au matérialisme.
Encore, au prix d’une semblable inconséquence, évitera-t-on de reconnaître la réalité de cet inconscient, dont on s’efforce d’exorciser le fantôme ? Non point, il va reparaître par un autre tour de raisonnement, il suffit pour cela de dissiper l’équivoque dont est entouré le concept de subconscient. Certaines perceptions, dit-on, sont en nous sans être perçues. N’est-ce point là avouer au fond la thèse que l’on prétendait combattre, et la présenter sous une autre forme ? Si l’on peut avoir conscience de quelque fait, sans avoir conscience que l’on en a conscience, alors il y a au moins une faculté psychique qui peut s’exercer sans être accompagnée par la réflexion de conscience, et cette faculté, c’est précisément la conscience même. Le principe de continuité nous a fait passer par une gradation insensible de la conscience distincte à la conscience obscure ; du même droit et par une démarche tout aussi nécessaire de l’esprit qui ne peut s’arrêter à quelque degré que ce soit, et recule la limite au delà de toute limite, il nous mènera de la conscience moindre à la conscience nulle, du subconscient à l’inconscient.
Force est donc au spiritualisme de concevoir la réalité de l’inconscient psychologique ; resterait à montrer que le spiritualisme est compatible avec cette conception, bien plus qu’il l’implique nécessairement dans sa définition de l’esprit. C’est là un nouveau problème que nous n’avons pas la prétention de résoudre ; contentons-nous d’indiquer comment il se pose. Tout d’abord écartons la difficulté qui était pour M. Desdouits une pierre de scandale : il ne s’agit nullement de faire de l’inconscient une activité séparée à jamais de toute conscience formant à elle seule un monde qui se suffirait à lui-même, et s’imposerait au monde de la conscience en vertu d’une finalité transcendante, comme on a si longtemps supposé qu’était l’instinct chez l’animal. Pourquoi un tel inconscient serait-il esprit plutôt que matière ou matière plutôt que n’importe quoi, x tout simplement ? À se laisser épouvanter par le fantôme qu’a évoqué l’imagination de Schopenhauer et de Hartmann, on court le danger d’égarer ses coups contre une ombre. C’est au sein de la conscience même, par l’analyse de ses conditions d’existence, que se rencontre l’inconscient. Un fait de conscience