Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/475

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miné la réponse par l’interrogation ; au lieu d’établir une vérité ayant une valeur nécessaire et universelle, on aurait développé un postulat. Sans doute Spinoza n’aurait pas trouvé de morale s’il n’en avait cherché ; mais la préoccupation morale n’a servi, comme on l’a vu, qu’à l’exciter à entrer en possession de sa liberté intellectuelle ; une fois cette liberté conquise, à elle de se déployer par sa seule force interne ; elle rencontrera le bien sur sa route parce que le bien ne peut être séparé de la vérité ni de l’être ; autrement il ne serait pas véritable, autrement il n’existerait pas. La vérité est intérieure à l’esprit ; l’être intérieur au vrai ; le bien intérieur à l’être. Ce sont là trois aspects d’une seule et même chose. Logique, métaphysique, morale, ne forment donc qu’une seule et même science. La philosophie est une unité parfaite : considérée dans sa méthode, elle s’appelle logique ; considérée dans son principe, elle s’appelle métaphysique ; considérée dans sa fin, elle s’appelle morale. C’est pourquoi on a pu dire également que la philosophie de Spinoza ne comporte pas une morale, entendue au sens de science isolée et autonome, et qu’elle est tout entière une morale. Pas de morale indépendante : « La morale, écrit Spinoza, doit, comme chacun sait, être fondée sur la métaphysique et sur la physique. » (II, 118.) La vie du vulgaire avait été condamnée par Spinoza, non parce qu’elle était immorale, prise en elle-même, mais parce qu’elle se résolvait dans le néant, et se mettait ainsi en contradiction avec elle-même. Inversement la règle positive de la moralité ne peut se déduire que de principes logiques et métaphysiques ; par suite aussi pas de science qui ne contribue à la formation d’une morale : « Chacun pourra voir que je veux diriger toutes les sciences vers cette fin et ce but unique, parvenir à la souveraine perfection de l’humanité, dont nous avons déjà parlé ; et ainsi tout ce qui dans les sciences ne nous rapproche en rien de ce but, il faut le rejeter comme inutile. » (I, 6.) Le développement de la pensée étant une réalité concrète, est en même temps une œuvre morale. Tels que Spinoza les a conçus et les a présentés, le Traité de Théologie et de Politique, le Traité de la Réforme de l’Intelligence sont de véritables introductions à la vie morale. Enfin l’ouvrage qui contient l’exposition intégrale du spinozisme, qui traite de Dieu et de l’homme, celui-là même que l’auteur avait d’abord appelé « Sa philosophie » (I, 11, 12), porte définitivement le nom de morale : Ethica.

À faire ainsi de la morale le but de la philosophie, n’y a-t-il pour-