Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

choisissant elle-même, se voulant elle-même. Et par suite, c’est le renoncement de la raison à la vie, à la nature, en vue de la raison ; renoncement qui n’exclut pas mais appelle au contraire le règlement de la vie par la raison. C’est pourquoi nous avons dit ailleurs que la certitude essentielle était celle de la raison unie, appliquée à la vie : incarnée. C’est en cet acte de décision, et de renoncement intérieur que communient le sage et le saint. Et cette communion nous apparaîtra mieux encore, quand nous aurons vu plus tard que la première démarche de la pensée peut être dite à la fois consentement actif et sentiment.

Mais nous avions eu le tort, dans un premier travail, de confondre avec la question de la nature fondamentale de la certitude une question d’ordre pratique, en somme, et qui ne comporte pas à proprement parler de solution métaphysique, à savoir lequel du sage ou du saint, de celui qui pense le système des choses, ou de celui qui en a la conscience immédiate et profonde, est supérieur à l’autre. Dire que la raison pratique doit être mise au-dessus de la raison spéculative, c’est dire que la connaissance elle-même présuppose cet abandon de soi, cette volonté de l’Infini, qui constitue la sainteté intérieure ; que, de plus, le sage lui-même ne doit pas oublier que le lien qui l’unit à tous est cette puissance de renoncement intérieur, principe commun de la science et de la vertu. Mais cela signifie-t-il que la conscience immédiate de la vérité essentielle soit préférable à la réflexion qui la justifie ? Question de psychologie et de morale pratique, qui ne se peut résoudre que par « l’esprit de finesse » et selon les cas. Il est certain d’une part que le philosophe justifie le saint ; mais il est certain d’autre part que le saint peut avoir une conscience de la vérité essentielle plus intérieure que le philosophe. Il n’est pas nécessaire, pour se rendre compte de la primauté de la certitude morale, d’être possédé et comme imprégné tout entier de cette vérité ; et la pensée ne fait pas plus la volonté vivante, que celle-ci ne donne la pensée. Or c’est là une infériorité non pas seulement pratique, mais philosophique. Car si le penseur ne saisit pas le premier fait dans toute la profondeur de sa réalité, s’il ne le vit pas pleinement, s’il ne fait qu’en disserter, il ne pourra ni l’analyser tout entier, ni apercevoir le monde dans cette lumière[1]. C’est par des considérations de cet ordre et non par des spécula-

  1. Voir sur ce point les belles pages de M. Ollé-Laprune dans la Philosophie et le temps présent.