Je suis d’accord avec M. C. Mélinand sur ce point que, dans l’enseignement de la philosophie, le dialogue pourrait et devrait complètement supplanter le cours, à condition que le professeur se préparât aussi consciencieusement au dialogue qu’il le fait pour un cours. Mais il faudrait seulement, comme le remarque justement M. Mélinand, résumer de temps en temps les résultats obtenus par la causerie, et en donner un exposé sommaire et systématique. Là où l’on possède de bons manuels d’une science, on pourrait fonder la causerie sur la connaissance du texte, dont on proposerait l’étude aux étudiants. Malheureusement les bons manuels en philosophie sont très rares, et on pourrait faire quelques objections même aux meilleurs qui existent.
J’arrive à une question qui pourrait peut-être donner lieu à une discussion intéressante dans cette Revue. On m’a souvent vanté les mérites de l’enseignement de vive voix, la supériorité du discours qu’on entend sur le livre qu’on lit, — et jamais je n’ai pu comprendre cette supériorité. En vain j’ai fréquenté des cours et des leçons publiques en France, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Russie, — jamais je n’ai obtenu l’impression d’être mieux convaincu ou plus influencé par la parole parlée que par la parole écrite. Chaque fois que je voulais réfléchir à quelque phrase émise par l’orateur, j’en étais empêché par la continuation de son discours. Je regrettais de ne pas pouvoir feuilleter un discours parlé comme on fait un livre, de ne pas pouvoir arrêter l’orateur pour réfléchir à ce qu’il disait, ou lui faire redire plusieurs fois ce que je voulais entendre répéter. Enfin, le discours parlé n’est pas comparable au livre, quant à son effet didactique. Il se peut que l’orateur de génie puisse convaincre plus vite qu’un écrivain, qu’il puisse décider une assemblée à quelque résolution importante et inattendue, mais il ne saura créer des convictions fermes et durables, basées sur un raisonnement calme et inébranlable, indépendantes du charme de la voix et des artifices de rhétorique.
C’est le livre, et non le cours parlé (ou ce qui est encore pis, lu) qui correspond à nos besoins actuels d’instruction ; le livre qu’on peut lire et relire, où l’on peut trouver tout de suite le passage qui vous intéresse, que l’on peut aisément comparer avec d’autres livres sur le même sujet. Les cours avaient leur importance quand les livres étaient chers et rares, quand l’enseignement reposait sur l’autorité du maître, quand la science n’était accessible qu’à un nombre restreint de personnes. Aujourd’hui le moyen naturel de propager l’instruction est la lecture, et le rôle du professeur consiste surtout à bien diriger la lecture de ses élèves et à leur enseigner à se servir raisonnablement et critiquement de leurs livres. Il est bien entendu que ce sont seulement les cours que je voudrais voir remplacés par des livres, et encore seulement dans les sciences où l’expérimentation n’est pas indispensable pour familiariser les élèves avec la théorie. Les exercices pratiques ou causeries garderont toujours leur supériorité sur les livres. Mais ce ne sera pas du tout la supériorité imaginaire de la parole parlée sur la parole écrite, ce sera seulement la supériorité du traitement individuel des élèves qu’on connaît personnellement sur le traitement général d’un objet pour un public indéfini.
C’est le dialogue seul qui peut donner l’occasion au professeur d’adapter