Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/510

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D’ailleurs il faut reconnaître qu’il n’y a sur ce point que des jugements approximatifs : nous sommes peut-être libres dans des moments où nous nous croyons nécessités, et inversement. Mais dans cette incertitude, M. Fouillée le dit très justement, ce qui nous soutient, c’est l’idée que nous avons de notre liberté. Notre conscience actuelle peut nous tromper ; mais il ne se peut qu’il n’y ait du vrai dans cette conscience. Une erreur n’est jamais qu’une vérité déformée ; elle ne se fabrique pas de toutes pièces. Nous ne savons trop quand nous sommes libres ; mais nous ne pouvons agir que sous l’idée de liberté. Et peut-être, en somme, notre première idée de la liberté conçue comme une discontinuité se produisant dans la série des faits n’est-elle pas aussi féconde que lorsqu’elle est conçue comme une idée de la liberté dominant toute la série des faits et circulant pour ainsi dire d’un bout à l’autre. De sorte que nous aboutirions, en cherchant une conception positive de la liberté, à une sorte de transposition positive du noumène kantien. Se considérer 'en général comme libres — ce qui maintient sans cesse en haleine notre initiative — et d’autre part regarder plus particulièrement comme des effets de la liberté les interventions imprévisibles de la raison, tel est peut-être le double point de vue d’où nous pouvons considérer la liberté[1]. En somme, le point de vue dualiste sur l’homme est scientifiquement le plus légitime, et ce point de vue n’est pas inutile à la médecine même[2]. M. Pierre Janet va jusqu’à nous prédire que quelque jour Maine de Biran sera mis entre les mains de tous les étudiants en médecine[3].

Or les volontaires seraient précisément ceux qui posséderaient ce pouvoir de décision réfléchie, de synthèse intellectuelle efficace. Ils sont capables de rompre la trame de la spontanéité de façon à appeler à la vie un désir encore vague, ou d’ajouter au désir le consentement, ou à l’idée ce quelque chose de plus qui en fait une conviction. Notre but n’est pas d’ailleurs d’élucider complètement la notion positive de la liberté, mais de faire ressortir qu’il y a là une distinction pratique, qu’une classification concrète ne saurait négliger. À cette distinction pratique l’auteur substitue l’hypothèse physiologique qui ramène tous les actes humains aux deux processus fondamentaux de l’action nerveuse ; hypothèse qui, à supposer qu’elle fût vraie dans le fond, ne serait guère applicable dans le cas présent : le mode d’action des muscles sur les os, tel que le médecin a besoin de le connaître, ne se tire pas de leur constitution histologique. Ici encore nous eussions préféré à cette vaste généralisation une analyse précise et concrète des conditions diverses qui favorisent ce pouvoir. Peut-être est-il un peu rapide de confondre indistinctement tous les volontaires dans la classe des apathiques-actifs. La volonté est-elle le partage des seuls apathiques, et, d’autre part, la nature même de la sensibilité ne peut-elle être modifiée par l’action de ce pouvoir spécial ? Peut-être aussi eût-il été meilleur de définir quelques variétés du type volontaire : volonté active, inhibitrice, spasmo-

  1. Il est bien entendu que nous n’essayons de déterminer ici qu’un concept positif de la liberté en dehors de toute métaphysique.
  2. Voir Pierre Janet, État mental des hystériques. Collection Charcot-Debove.
  3. Arch. de neurologie, mai 1892.