Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/527

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certaines inventions se produisent et subsistent, parmi la disparition progressive des inventions contraires et la variation constante de celles qui ne leur sont ni conformes ni contraires, n’est-ce pas parce qu’elles sont nécessaires à la durée du groupe social ? La théorie des inventions sociales nécessaires subsisterait donc en l’absence de toute imitation. Au contraire, si une imitation se produit et subsiste, quand c’est pour des raisons logiques, n’est-ce pas à cause de son utilité ? Et comme nous devons éliminer ici l’utilité physiologique, dont la sociologie pure n’a pas à tenir compte, n’est-ce pas à cause de son utilité sociale ? Quant aux imitations qui s’expliquent par des lois extra-logiques, la durée du groupe social exige la destruction de toutes celles qui sont contraires à l’utilité sociale, le maintien de toutes celles qui lui sont conformes. Et comme celles qui ne durent pas appartiennent à l’histoire des sociétés, non à la science de la société ; comme la sociologie pure est, dans la pensée de M. Tarde, une science applicable à toutes les sociétés passées, présentes et possibles ; comme enfin la logique sociale est la même, qu’il s’agisse des lois logiques qui expliquent l’apparition d’une invention ou de celles qui en expliquent l’imitation, ce n’est pas l’étude de l’imitation, c’est l’étude de la logique sociale, entendue exclusivement comme la théorie des inventions sociales nécessaires, qui est l’objet de la sociologie pure ; et c’est seulement dans la mesure où l’idée d’imiter serait elle-même une invention sociale nécessaire comme le langage ou comme le droit, qu’il appartiendrait à la sociologie pure de s’en occuper.

On dirait en vain que c’est l’identité de notre constitution physiologique qui explique l’identité de notre structure mentale, et que, par suite, les similitudes dues à la logique sociale, se ramenant aux similitudes d’origine physique ou biologique, ne sauraient faire l’objet de la sociologie pure. Car, dans ce sens, les ressemblances dues à l’imitation seraient aussi d’origine naturelle, non d’origine sociale ; et l’imitation n’est pas plus une cause primitive qu’elle n’est une cause universelle. Il y a en effet deux sortes d’imitation, l’imitation logique et l’imitation extra-logique. La première, s’expliquant par la logique sociale, s’expliquerait donc par des causes physiologiques. La seconde peut être distinguée à son tour en deux genres, l’imitation volontaire et l’imitation involontaire. L’imitation s’expliquant parce que toute représentation forte, répétée, exclusive, tend à se faire action, et ce fait lui-même s’expliquant parce que tout état de conscience est accompagné d’un mouvement, nous nous trouvons ramenés encore à une cause physiologique. Quant à l’imitation volontaire du supérieur par l’inférieur, elle s’explique parce que l’homme considéré comme supérieur est, par définition, celui dont les tendances et les croyances apparaissent comme supérieures, car ce qui apparaît comme supérieur est, par définition également, ce qui apparaît comme préférable, comme meilleur, comme devant être fait ; et c’est donc notre structure mentale et par suite, dans la théorie de M. Tarde, notre constitution physiologique qui suffit à rendre compte de limitation volontaire. — En ce sens, il n’y a donc pas plus de sociologie pure, qu’il n’y aurait de physiologie pure, si l’on désignait par là l’explication des phénomènes vitaux par une force