Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/582

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passe naturellement d’un corps chaud sur un corps froid, mais ne peut repasser d’un corps froid sur un corps chaud par aucun cycle fermé, c’est-à-dire par une suite de transformations telles que tous les corps d’un système isolé englobant ces deux corps reviennent exactement à leur état initial. Dans tout système isolé, il y a « quelque chose » qui varie toujours dans le même sens, et ne peut qu’augmenter irrévocablement dans toute transformation du système : ce « quelque chose » est la fonction que Clausius a nommée entropie.

C’est surtout dans la théorie cinétique des gaz que la contradiction entre ces deux principes s’accuse d’une manière manifeste. Si l’on conçoit un gaz comme un ensemble de molécules exerçant les unes sur les autres des forces centrales, fonctions de leurs distances mutuelles, c’est-à-dire comme un système conservatif, le théorème de la phase devra s’y appliquer, et par suite les transformations du gaz seront périodiques et réversibles : le gaz oscillera donc indéfiniment autour d’un état moyen. Or cela est contradictoire avec la loi de l’entropie, en vertu de laquelle le gaz doit tendre vers un état final de repos mécanique et d’équilibre thermique. Les mêmes considérations s’appliqueraient d’ailleurs à l’univers considéré comme un système isolé et conservatif, et la même question se poserait à son sujet : Tend-il vers un état final, ou oscille-t-il périodiquement autour d’un état moyen ?

Pour faire saisir à la fois l’analogie et la différence entre l’état moyen d’un système à mouvement réversible et l’état final d’un système irréversible, nous pouvons encore recourir à la comparaison du pendule. Nous avons vu que, dans l’hypothèse où le pendule se meut sans frottement, il oscille indéfiniment de part et d’autre de sa position d’équilibre stable P’, y repasse une infinité de fois et s’en écarte toujours autant : cette position est donc pour le pendule un état moyen. Si au lieu d’un pendule, on considère une molécule imperceptible animée d’un mouvement d’oscillation ou de vibration très rapide autour d’un centre, ce centre sera la position apparente de la molécule ; on comprend alors pourquoi l’état moyen d’un gaz, dans la théorie cinétique, se trouve coïncider avec son état apparent.

Il en va autrement dès que le pendule éprouve des frottements ou une résistance quelconque. En général, tout phénomène mécanique où intervient le frottement est irréversible, parce qu’il se complique d’un phénomène thermique (production de chaleur, de lumière, d’électricité, en un mot de mouvements moléculaires). Dans ce cas, l’énergie du pendule s’usera à vaincre les résistances des supports et du milieu, et finira par se dissiper dans les corps ambiants. On sait qu’alors (et c’est le cas réel) le pendule se rapproche de plus en plus de sa position d’équilibre stable, et finit par s’y arrêter au bout d’un temps fini. On peut dire que cette position est l’état final auquel tendait le mouvement irréversible du pendule. De même, dans un gaz dont l’état initial offre certaines inégalités de température, de densité, de pression, etc., ces inégalités, en vertu de la loi de l’entropie, doivent diminuer sans cesse par suite des chocs des molécules entre elles ou contre les parois du vase, et le gaz doit aboutir à un état final d’homogénéité apparente, caractérisé par la distribution uniforme des molécules