Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/606

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Il nous faut maintenant considérer un élément important de la question, négligé par les déterministes : l’influence de l’idée de la liberté sur le déterminisme lui-même. Comment et jusqu’à quel point l’indépendance du moi, où nous avons vu le caractère essentiel de la liberté, est-elle réalisable ? Sa réalisation progressive exige d’abord la conscience totale des motifs et mobiles, la parfaite attribution au moi du déterminant et du déterminé, ensuite et surtout la causalité du moi, laquelle n’est possible que s’il agit sous l’idée de sa liberté même et avec sa liberté comme fin. Que la liberté, telle qu’elle a été définie, puisse être un objet de désir, c’est ce qui ressort du fait que tous les éléments de sa définition sont pour nous des biens. Quelle est l’action que doit exercer l’idée de cette liberté conçue ainsi à tous les points de vue comme désirable ? Ses deux premiers éléments, les idées de puissance et d’indépendance, non pas absolues (quoique sous cette forme même elles ne laissent pas d’avoir quelque effet), mais relatives à un objet, ont, selon les cas, des effets inhibiteurs ou dynamogènes, plus souvent inhibiteurs en ce qui concerne la seconde. On peut en dire autant du troisième élément, l’idée de la spontanéité du moi. L’idée même, qu’elle amène, de la contingence absolue, de l’indétermination absolue de la volonté, quoique illégitime, n’est pas sans être en quelque mesure réalisable ; elle produit une indétermination relative. Se prenant ainsi elle-même pour fin dans tel acte particulier, elle réalise par cela même, dit M. Fouillée, une certaine dose de liberté qui se ramène à la détermination par un motif supérieur à tels et tels autres motifs donnés, et ce motif supérieur est le moi lui-même se posant en face des autres choses. La liberté, conclut-il, est la subjectivité par excellence puisqu’elle est le moi posant son indépendance en face du dehors, se prenant pour fin et agissant sous l’idée même de sa liberté (II, 326). Puisque la domination de tous les motifs par l’idée de notre liberté et, quand il s’agit d’un acte moral, par l’idée de la fin universelle, constitue la liberté, il suit que sa marque essentielle, loin d’être l’absence de motifs, est la motivation complète « embrassant dans la pleine lumière un ensemble de fins aussi vaste que possible pour les ramener à l’unité du moi », et que c’est pure illusion de donner comme caractéristique des actes libres l’imprévisibilité.

Livre septième. — Une théorie féconde, mais peu développée, celle de l’ubiquité de la sensibilité dans l’organisme, ouvre le dernier livre et conduit l’auteur à donner son opinion[1] sur des questions qui ont fort occupé les psychologues ces dernières années. D’abord « si tout sent dans le corps vivant », comment expliquer les actes et les états inconscients ? Selon M. Fouillée, ce n’est pas d’inconscience, mais de subconscience qu’il faut parler. Tous les faits que l’on prétend inconscients s’expliquent soit par l’association d’états de conscience faibles entre eux, ou avec des états forts, soit par les déplacements, soit par les désintégrations de la conscience.

  1. Trop brièvement aussi à notre avis. Il serait à souhaiter pour la psychologie que dans une édition subséquente certaines des questions traitées en ce dernier livre reçussent les développements qu’elles méritent et que l’on peut attendre d’un psychologue comme M. Fouillée.