Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/641

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE




SUPPLÉMENT

(n° de juillet 1893)




La suggestion dans l’art, par M. Paul Souriau, ancien élève de l’École normale supérieure, professeur à la Faculté des lettres de Lille. Paris, Alcan, 1893.

La meilleure marque de la valeur de cet ouvrage, c’est l’impossibilité de l’analyser. Il n’est lui-même en effet qu’une série d’analyses, fines et précises, qui témoignent d’un goût exercé, d’une information étendue, surtout d’une parfaite loyauté d’observation, qualités plus rares qu’on ne croirait, chez les philosophes qui ont traité les problèmes de l’esthétique. Ces analyses nous montrent comment l’artiste peut hypnotiser le spectateur ou l’auditeur, soit par la fascination d’un unique point lumineux, soit par la continuité d’un rythme monotone, et comment il sait mettre à profit cet état d’hypnotisme pour suggérer les représentations ou les sentiments qu’il veut, pour faire voir sur la toile, ce qui n’y est pas en réalité, la perspective, le relief, le mouvement, et même, comme dans l’Angélus de Millet, le son des cloches, pour nous donner, comme fait la musique et surtout l’art dramatique, des sentiments d’emprunt qui retentissent effectivement en nous, et qui parfois donnent naissance à de nouvelles personnalités vivant en nous, d’une vie inconsciente, et s’imposant malgré nous à notre imagination.

Les ingénieuses et pénétrantes analyses de M. Souriau ont en elles-mêmes leur vérité et leur valeur. Je ne sais, par contre, si elles suffisent à prouver la thèse fondamentale de l’auteur. M. Souriau s’est défié des idées générales et des discussions abstraites ; si elles ont souvent rendu de bien mauvais services à l’esthétique, elles n’en sont pas moins nécessaires pour déterminer le caractère et pour prouver la vérité d’une proposition philosophique. Avant d’identifier l’art avec l’hypnotisme et la suggestion, encore faudrait-il savoir dans quel sens il convient d’entendre ces termes. Si la suggestion est un état pathologique, si elle provoque en nous des illusions, qui au lieu d’être le prolongement des sensations fournies par la réalité, sont en contradiction avec les phénomènes du milieu extérieur, alors le terme de suggestion ne s’applique avec exactitude qu’à des formes inférieures de l’art, qui emploient le trompe-l’œil, la fantasmagorie, ou bien qui excitent les nerfs jusqu’à nous faire perdre la conscience de toute réalité donnée. Si, au contraire, la suggestion n’est qu’un nom particulier de l’imagination, alors le rapprochement va de soi, la thèse perd de son piquant et de son originalité, mais elle est vraie, ce qui vaut mieux, et elle est féconde, à en juger par les études consciencieuses et subtiles de M. Souriau.

La perception et la psychologie, par Domet de Vorges. 1 vol. in-8, Paris, Roger et Czernoviz.

Ce livre, dans lequel M. Domet de Vorges se propose de convertir les « spiritualistes cartésiens » à la « philosophie traditionnelle », a déjà trouvé place, sans doute, dans toutes les bibliothèques thomistes. Comme plusieurs autres, M. Domet de Vorges se propose de traduire « les doctrines de saint Thomas dans la manière contemporaine de formuler et de développer sa pensée » (p. 272).

On trouve, dans l’ouvrage de M. Domet de Vorges, des citations éparses de saint Thomas, des lambeaux de manuels de physique ou de physiologie, une étrange théorie du langage, et peu de substance. Nous sommes prêts à admettre que « l’expérience se fait par le concours de la sensation et de l’intelligence » (p. vii) ; — nous admettons, si l’on veut, que l’apport de l’intelligence consiste