Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/79

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parce que ses côtés ont telles longueurs relatives, mais parce qu’ils ont telles longueurs absolues. La négation de la similitude ruine enfin le principe d’homogénéité, en vertu duquel les équations de la géométrie analytique restent les mêmes quand on y multiplie toutes les longueurs par un même nombre (les angles restant les mêmes), ce qui revient à transformer les figures par homothétie (similitude de position), ou encore à changer l’unité de mesure des longueurs. Les relations de la géométrie non euclidienne dépendent donc des dimensions absolues des figures, ou du choix de l’unité de longueur. Cette géométrie supprime la relativité de l’étendue, qui est « une grande loi de l’univers », et aboutit à assigner à l’espace lui-même une grandeur déterminée (p. 53), ce qui est le comble de l’absurdité.

XIV. — La géométrie de Lowatchewski n’est qu’une des innombrables géométries qu’on peut édifier sur la négation des postulats traditionnels. Riemann a posé le principe des géométries non euclidiennes dans toute sa généralité, en appelant espace à n dimensions une multiplicité à n sens, c’est-à-dire une variété continue telle qu’il faut n coordonnées pour en déterminer un point. Un espace en général sera caractérisé par la forme analytique de l’élément linéaire, c’est-à-dire de la différentielle de l’arc de courbe exprimée en fonction des différentielles des coordonnées. Il y aurait ainsi une infinité d’espaces analytiquement possibles, dont l’espace euclidien ne serait qu’un cas très particulier. Mais il est absurde de considérer l’espace dont nous avons l’intuition comme l’espèce du genre : « multiplicité à trois dimensions », que nous ne pouvons représenter que dans cet espace unique, et que nous ne pouvons concevoir que par analogie avec lui. Il est également absurde de prendre arbitrairement une fonction différentielle quelconque pour la définition de l’élément linéaire, sans tenir compte de la forme rectiligne que notre intuition lui impose. M. Helmholtz se flatte en vain de se passer de l’intuition pour constituer une géométrie générale ; on ne peut construire l’espace avec des formules algébriques, et la géométrie analytique ne peut nous servir à concevoir d’autres espaces que celui qui nous est donné, car elle n’a de valeur que pour l’intuition à laquelle elle s’applique. Un espace à plus de trois dimensions n’est rien de plus que l’ensemble d’un certain nombre de variables, qu’il plaît de nommer coordonnées d’un point pour leur donner une fausse apparence géométrique ; et les espaces à moins de trois dimensions ne sont que des figures particulières de notre espace total, des abstractions qu’il faut bien se garder de réaliser, car on ne peut les concevoir que dans cet espace. Que si l’on peut attribuer aux surfaces une courbure et une figure propres, parce que ce sont des déterminations de l’espace, on ne peut attribuer une figure et une courbure, encore moins une grandeur absolue, à l’espace lui-même, qui est radicalement informe et indéterminé. Il n’y a rien dans l’espace vide et illimité qui puisse, comme sur une surface, résister au déplacement d’une figure invariable et s’opposer à l’agrandissement d’une figure par similitude. Il est donc bien inutile de supposer, comme M. Helmholtz, que c’est la constatation répétée de faits de ce genre (figures semblables et solides en mouvement) qui a donné lieu à notre conception habituelle de l’espace, et il est faux de dire que les postulats de la géométrie euclidienne sont l’expression de ces