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II

On n’attend pas de nous, assurément, une discussion complète et approfondie de la doctrine que nous venons d’exposer. Sur la question des géométries non euclidiennes, nous ne pouvons mieux faire que de renvoyer le lecteur à l’article substantiel et définitif où M. Poincaré a résumé, avec autant de clarté que de concision, les principes essentiels et les résultats les plus intéressants de ces singulières théories[1]. Nous nous contenterons du rôle modeste, mais utile, d’interprète du savant mathématicien ; car, de son propre aveu, il affirme plus qu’il ne prouve, et ses affirmations sont tellement condensées, qu’elles ont besoin, croyons-nous, d’un commentaire pour devenir accessibles aux « profanes ». L’auteur commence par établir que le postulatum d’Euclide n’est pas démontrable, puisque l’on peut construire des géométries en prenant pour principe la négation de ce postulat, sans jamais être arrêté par une contradiction. La géométrie de Lowatchewski, par exemple, offre un développement aussi logique et un enchaînement aussi rigoureux que celle d’Euclide. En effet, on peut traduire les théorèmes de Lowatchewski en propositions euclidiennes au moyen d’une sorte de dictionnaire qui établit une correspondance parfaite entre les figures euclidiennes et celles de l’espace non euclidien. « Si deux théorèmes de Lowatchewski étaient contradictoires, il en serait de même des traductions de ces deux théorèmes, faites à l’aide de notre dictionnaire ; mais ces traductions sont des théorèmes de géométrie ordinaire, et personne ne doute que la géométrie ordinaire ne soit exempte de contradiction. » Cela prouve bien que le postulatum d’Euclide ne peut se déduire des autres axiomes de la géométrie euclidienne et, en même temps, qu’il caractérise l’espace euclidien par opposition à une infinité d’autres espaces à trois dimensions.

Pour faire comprendre cette idée étrange de divers espaces possibles à trois dimensions, qui s’est imposée en vertu de l’analogie à l’esprit des géomètres modernes, rappelons que, dans une courbe, on définit sous le nom de courbure une certaine fonction des coordonnées de chacun de ses points : la courbe de courbure constamment nulle est la droite ; la courbe de courbure constante (dans le plan) est le cercle. De même, dans une surface, on définit sous le nom de courbure totale une fonction analogue des coordonnées de chacun de ses points : les surfaces dont la courbure totale est constamment nulle sont le plan et les surfaces développables, c’est-à-dire applicables sur un plan. Les surfaces dont la courbure totale est constante et positive sont la sphère et les surfaces applicables sur une sphère. Enfin, parmi les surfaces à courbures opposées, dites à courbure totale négative (telles qu’un paraboloïde hyperbolique ou vulgairement une selle de cheval), celles dont la courbure totale est constante sont les pseudosphériques de Beltrami[2]. Or, si l’on définit, avec Riemann, un espace quelconque par son

  1. Revue générale des sciences pures et appliquées, 2e année, n° 23 (15 déc. 1891).
  2. Cf. Paul Tannery, la Géométrie imaginaire et la notion d’espace, ap. Revue