ce nombre n, il y aurait toujours une raison pour concevoir un espace à (n + 1) dimensions, que par hypothèse on ne pourrait imaginer, et cela, pour se rendre compte analytiquement des propriétés de l’espace à n dimensions dont on aurait l’intuition. Nous pouvons, en tout cas, nous figurer les espaces à deux dimensions (plans) de Riemann et de Lowatchewski, car ils sont contenus dans l’espace euclidien et y coexistent : le premier est une surface sphérique, le second une surface pseudosphérique. On peut donc se représenter ce qui équivaut à la géométrie plane dans les géométries de Riemann et de Lowatchewski ; et par là même se trouve vérifiée la possibilité logique de ces deux géométries.
Ainsi, non seulement les géométries non euclidiennes sont, chacune en elle-même, exemptes de contradiction aussi bien que la géométrie euclidienne, comme le reconnaît du reste M. Renouvier, mais elles ne se contredisent même pas entre elles, car elles pourraient se réconcilier toutes dans un espace à quatre dimensions ; tout comme nous pouvons considérer et distinguer dans l’espace ordinaire, outre le plan et coexistant avec lui, une infinité de sphères de rayons différents et même de surfaces de toutes formes et de toutes courbures. M. Renouvier est donc trop sévère pour la géométrie générale, quand il l’accuse d’être contradictoire et d’engendrer le scepticisme mathématique. Il oublie que les diverses géométries à trois dimensions s’appliquent chacune à un espace différent : par exemple, dans l’espace euclidien, la somme des angles d’un triangle est égale à deux droits ; dans l’espace de Riemann, elle est plus grande que deux droits ; dans l’espace de Lowatchewski, elle est plus petite que deux droits. Ces trois théorèmes, en apparence contradictoires, sont si bien compatibles, qu’ils sont valables respectivement pour le plan, la sphère et la pseudosphère de l’espace euclidien ; le premier est vrai des triangles rectilignes, le second des triangles sphériques, le troisième des triangles pseudosphériques ; en quoi y a-t-il là la moindre contradiction ?
Nous espérons que les explications précédentes aideront le lecteur à comprendre la conclusion de M. Poincaré : « Cette question : La géométrie euclidienne est-elle vraie ? n’a aucun sens. Autant vaudrait demander si le système métrique est vrai et les anciennes mesures fausses ; si les coordonnées cartésiennes sont vraies et les coordonnées polaires fausses » ; — ajoutons, pour donner un exemple d’une analogie plus probante : « si la géométrie plane est vraie et la géométrie sphérique fausse ». Il ne faut donc pas croire, comme la plupart des géomètres, que l’expérience seule puisse décider entre toutes ces géométries également valables au point de vue logique. En effet, toute vérification expérimentale est et ne peut être qu’approximative, et par conséquent aucune expérience ne pourra prouver que l’espace réel (en admettant que cette locution ait un sens) est absolument euclidien. Les néogéomètres semblent donc commettre un cercle vicieux quand ils soutiennent, d’une part, que si notre géométrie est eucli-
valeur des explications métaphysiques qu’on a données de ce « fait », et notamment la déduction que M. Lachelier a proposée des trois dimensions de l’espace. {Revue philosophique, mai 1885, Psychologie et métaphysique.)