Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/86

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du second n’implique pas contradiction, puisque le sujet et l’attribut sont logiquement indépendants. M. Poincaré nous permettra donc de rectifier une simple erreur de vocabulaire, et d’énoncer sa conclusion sous la forme suivante, qui traduit sa véritable pensée : « Les postulats ne sont ni des jugements analytiques ni des faits expérimentaux ». Rien n’empêche, au contraire, qu’ils soient des jugements synthétiques a priori, ce qui ne contredit nullement la théorie de M. Poincaré, à savoir que ce sont des conventions arbitraires, des définitions déguisées. En efîet, les postulats sont arbitraires, en ce sens qu’ils n’ont aucune nécessité logique, et ne relèvent pas du principe de contradiction ; mais l’auteur reconnaît qu’en fait, « notre choix, parmi toutes les conventions possibles, est guidé par des faits expérimentaux » ; à moins qu’ils ne s’imposent à l’esprit par une nécessité d’ordre esthétique, pour parler le langage de Kant, parce qu’ils définissent l’espace euclidien, forme a priori de la sensibilité.

En somme, M. Poincaré s’accorde avec M. Renouvier pour condamner l’empirisme ou le réalisme des métagéomètres, qui est au fond contradictoire avec leurs propres théories, et qui montre seulement combien les mathématiciens auraient besoin d’une culture philosophique qui leur fait trop souvent défaut. Il est juste pourtant de reconnaître que tous ceux qui ont profondément réfléchi sur leur science, et qui la comprennent, s’affranchissent peu à peu du préjugé vulgaire qui leur fait considérer en général comme des faits expérimentaux et physiquement constatés toutes les données primitives des mathématiques, telles que l’espace, le temps et même le nombre. Par exemple, M. Calinon lui-même, qui soutenait (juin 1889)[1] que la notion d’espace homogène est « le résultat d’une très longue expérience », ne croit plus (octobre 1891)[2] « que les données premières de la géométrie se réduisent à une simple notion empirique », et il en donne d’excellentes raisons, les mêmes au fond que M. Poincaré. Il y a donc lieu d’espérer que les mathématiciens et les philosophes arriveront à se mettre d’accord sur les principes de la géométrie et en particulier sur la question des postulats ; mais pour cela il faut que les savants renoncent à supprimer ou à trancher trop légèrement les problèmes d’ordre métaphysique qui se trouvent à la base des mathématiques, et que les philosophes ne méconnaissent plus la valeur logique et l’intérêt philosophique des généralisations les plus hardies de la science, telles que les géométries non euclidiennes. Il est dès maintenant établi, par les mathématiciens eux-mêmes, que des postulats sont indispensables à la constitution de toute géométrie, et c’est ainsi que la géométrie générale, qui parait absurde et extravagante à M. Renouvier, apporte au contraire à sa doctrine une confirmation inattendue.

Nous allons maintenant examiner quelques-unes des propositions que M. Renouvier considère comme des jugements synthétiques, et demander

  1. Revue philosophique, t. XXVII, p. 595.
  2. Ibid., p. 375.