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H. POINCARÉ. L’ESPACE ET SES TROIS DIMENSIONS.

m’explique ; il ne s’agit pas de se représenter les mouvements eux-mêmes dans l’espace, mais uniquement de se représenter les sensations musculaires qui accompagnent ces mouvements et qui ne supposent pas la préexistence de la notion d’espace.

Si nous supposons deux objets différents qui viennent successivement occuper la même position relative par rapport à nous, les impressions que nous causeront ces deux objets seront très différentes ; si nous les localisons au même point, c’est simplement parce qu’il faut faire les mêmes mouvements pour les atteindre ; à part cela, on ne voit pas bien ce qu’ils pourraient avoir de commun.

Mais, étant donné un objet, on peut concevoir plusieurs séries différentes de mouvements qui permettraient également de l’atteindre. Si alors nous nous représentons un point, en nous représentant la série des sensations musculaires qui accompagneraient les mouvements qui permettraient d’atteindre ce point, on aura plusieurs manières entièrement différentes de se représenter un même point. Si l’on ne veut pas se contenter de cette solution, si on veut faire intervenir par exemple les sensations visuelles à côté des sensations musculaires on aura une ou deux manières de plus de se représenter ce même point et la difficulté n’aura fait qu’augmenter. De toutes façons, la question suivante se pose : pourquoi jugeons-nous que toutes ces représentations si différentes les unes des autres représentent pourtant un même point ?

Autre remarque : je viens de dire que c’est à notre propre corps que nous rapportons naturellement les objets extérieurs ; que nous transportons pour ainsi dire partout avec nous un système d’axes auxquels nous rapportons tous les points de l’espace, et que ce système d’axes est comme invariablement lié à notre corps. On doit observer que rigoureusement l’on ne pourrait parler d’axes invariablement liés au corps que si les diverses parties de ce corps étaient elles-mêmes invariablement liées l’une à l’autre. Comme il n’en est pas ainsi, nous devons, avant de rapporter les objets extérieurs à ces axes fictifs, supposer notre corps ramené à la même attitude.

§ 5. — La Notion de Déplacement.

J’ai montré dans un article antérieur le rôle prépondérant joué par les mouvements de notre corps dans la genèse de la notion d’es-