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H. POINCARÉ. L’ESPACE ET SES TROIS DIMENSIONS.

Pour lever cette difficulté, n’envisageons que des sensations de même nature, des sensations rouges, par exemple, ne différant les unes des autres que par le point de la rétine qu’elles affectent. Il est clair que je n’ai aucune raison pour faire un choix aussi arbitraire parmi toutes les sensations visuelles possibles, pour réunir dans une même classe toutes les sensations de même couleur, quel que soit le point de la rétine affecté. Je n’y aurais jamais songé, si je n’avais pas appris d’avance, par le moyen que nous venons de voir, à distinguer les changements d’état des changements de position, c’est-à-dire si mon œil était immobile. Deux sensations de même couleur affectant deux parties différentes de la rétine m’apparaîtraient comme qualitativement distinctes, au même titre que deux sensations de couleur différente.

En me restreignant aux sensations rouges, je m’impose donc une limitation artificielle et je néglige systématiquement tout un côté de la question ; mais ce n’est que par cet artifice que je puis analyser l’espace visuel sans y mêler de sensation motrice. Imaginons une ligne tracée sur la rétine, et divisant en deux sa surface ; et mettons à part les sensations rouges affectant un point de cette ligne, ou celles qui en diffèrent trop peu pour en pouvoir être discernées. L’ensemble de ces sensations formera une sorte de coupure que j’appellerai , et il est clair que cette coupure suffit pour diviser l’ensemble des sensations rouges possibles, et que si je prends deux sensations rouges affectant deux points situés de part et d’autre de la ligne, je ne pourrai passer de l’une de ces sensations à l’autre d’une manière continue sans passer à un certain moment par une sensation appartenant à la coupure.

Si donc la coupure a dimensions, l’ensemble total de mes sensations rouges ou, si l’on veut, l’espace visuel total en aura .

Maintenant, je distingue les sensations rouges affectant un point de la coupure . L’ensemble de ces sensations formera une nouvelle coupure . Il est clair que celle-ci divisera la coupure C, en donnant toujours au mot diviser le même sens.

Si donc la coupure a dimensions, la coupure en aura et l’espace visuel total .

Si toutes les sensations rouges affectant un même point de la rétine étaient regardées comme identiques, la coupure se réduisant à un élément unique aurait dimension , et l’espace visuel en .