Page:Revue de métaphysique et de morale - 11.djvu/420

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
412
revue de métaphysique et de morale.

Soit le point de la rétine où se forme à l’instant α l’image du corps  ; soit le point de l’espace occupé à l’instant α par ce corps  ; soit le point de l’espace occupé à l’instant β par le corps . Pour que ce corps forme son image en , il n’est pas nécessaire que les points et coïncident : comme la vue s’exerce à distance, il suffit que les trois points soient en ligne droite. Cette condition que les deux objets forment leur image en est donc nécessaire, mais non suffisante pour que les points et coïncident. Soit maintenant le point occupé par mon doigt et où il reste puisqu’il ne bouge pas. Comme le toucher ne s’exerce pas à distance, si le corps touche mon doigt à l’instant α, c’est que et coïncident ; si touche mon doigt à l’instant β, c’est que et coïncident. Donc et coïncident. Donc cette condition que si touche mon doigt à l’instant α, le touche à l’instant β, est à la fois nécessaire et suffisante pour que et coïncident.

Mais nous qui ne savons pas encore la géométrie, nous ne pouvons raisonner comme cela ; tout ce que nous pouvons faire, c’est de constater expérimentalement que la première condition relative à la vue peut être remplie sans que le soit la seconde, qui est relative au toucher, mais que la seconde ne peut pas être remplie sans que la première le soit.

Supposons que l’expérience nous ait appris le contraire ? Cela se pourrait, et cette hypothèse n’a rien d’absurde. Supposons donc que nous ayons constaté expérimentalement que la condition relative au toucher peut être remplie sans que celle de la vue le soit et que celle de la vue au contraire ne peut pas l’être sans que celle du toucher le soit. Il est clair que, s’il en était ainsi, nous conclurions que c’est le toucher qui peut s’exercer à distance, et que la vue ne s’exerce pas à distance.

Mais ce n’est pas tout ; jusqu’ici j’ai supposé que pour déterminer la place d’un objet, je faisais usage seulement de mon œil et d’un seul doigt ; mais j’aurais tout aussi bien pu employer d’autres moyens, par exemple tous mes autres doigts.

Je suppose que mon premier doigt reçoive à l’instant α une impression tactile que j’attribue à l’objet . Je fais une série de mouvements, correspondant à une série de sensations musculaires. À la suite de ces mouvements, à l’instant α’, mon second doigt reçoit une impression tactile que j’attribue également à . Ensuite, à l’instant β, sans que j’aie bougé, ce dont m’avertit mon sens musculaire,