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H. POINCARÉ.COURNOT ET LE CALCUL INFINITÉSIMAL.

plexes, en suivant l’ordre rationnel, c’est-à-dire l’ordre adopté par la Nature elle-même.

Cournot en donne (loc. cit., p. 33) un exemple qui mérite d’être signalé en passant, au sujet de l’origine des idées d’espace et de temps : « L’idée d’espace, dit-il, ne s’acquiert que par le mouvement, par l’exploration successive des parties de retendue ; elle présuppose donc intrinsèquement l’idée ou la conscience de la durée…. Le sens de la durée est un sens plus rationnel, et à ce point de vue plus fondamental que les sens qui nous donnent la perception de l’espace…. En vertu même de cet ordre rationnel, il doit arriver que… l’étendue soit pour nous l’objet d’une intuition immédiate, d’une représentation directe… et que nous ne pouvons imaginer la durée qu’en attribuant à l’étendue une vertu représentative de la durée…. Les langues portent la trace de cette dérivation… ; les animaux, même les plus rapprochés de l’homme, ne paraissent avoir et ne peuvent avoir qu’une perception très obscure des rapports de temps… »

Ainsi le temps est rationnellement antérieur et logiquement postérieur à l’espace ; et s’il lui est logiquement postérieur, c’est en vertu même de cet ordre rationnel, c’est-à-dire parce qu’il est rationnellement antérieur ; car les deux ordres sont nécessairement inverses l’un de l’autre.

Et, plus loin (p. 64) : « Il ne faut pas confondre l’ordre rationnel avec l’ordre logique, quoique l’un de ces mots ait la même racine en grec que l’autre en latin. L’ordre rationnel tient aux choses, considérées en elles-mêmes ; l’ordre logique tient à l’ordre du langage, qui est pour nous l’instrument de la pensée… On distingue très bien, parmi les démonstrations d’un même théorème, toutes irréprochables au point de vue des règles de la logique, celle qui donne la vraie raison du théorème démontré, c’est-à-dire celle qui suit dans l’enchaînement logique des propositions l’ordre suivant lequel s’engendrent les vérités correspondantes, en tant que Tune est la raison de l’autre. En conséquence, on dit qu’une démonstration est indirecte lorsqu’elle intervertit l’ordre rationnel, lorsque la vérité obtenue à titre de conséquence dans la déduction logique est conçue par l’esprit comme renfermant au contraire la raison des vérités qui lui servent de prémisses logiques. »

Le type de la démonstration indirecte est évidemment la démonstration par l’absurde. Cournot s’aperçoit bien que la méthode des