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Page:Revue de métaphysique et de morale - 13.djvu/313

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H. POINCARÉ.COURNOT ET LE CALCUL INFINITÉSIMAL.

grandeurs douées d’une existence physique : en géométrie pure, les grandeurs continues ont aussi et peuvent avoir leur mode naturel de génération ; et, en pareil cas, on trouve le même avantage à saisir directement la loi des variations infinitésimales. »

Ainsi les infiniment petits sont la raison des choses, mais il semble au premier abord que la difficulté essentielle n’est même pas soupçonnée. Ces infiniment petits, raisons des choses, sont-ils de perpétuels devenir comme les infiniment petits leihnitiens ? Pour nous, qui ne croyons pas à la possibilité de concevoir un monde extérieur indépendamment du sujet pensant, ce serait la solution la plus simple et la plus naturelle. La raison première fuirait toujours devant l’esprit qui la cherche sans jamais pouvoir l’atteindre, et ce serait l’infiniment petit leibnitien qui symboliserait le mieux cette fuite éternelle.

Mais rien ne nous autorise à attribuer une pareille pensée à Cournot ; « le temps et l’espace, dit-il (loc. cit., p. 29), ne sont pas, comme l’a voulu Kant, des conditions imposées à notre seul entendement, des formes inhérentes à la constitution de l’esprit humain et non aux choses extérieures qu’il perçoit. » Et Leibniz lui-même a eu tort de ne voir dans l’espace et le temps que l’ordre des choses. Il est impossible d’être plus réaliste.

Quand donc Cournot dit que l’infiniment petit est la raison première des choses, il s’agit bien d’une raison première posée en dehors de nous, ce n’est pas un indéfiniment petit, et comme ce n’est pas non plus un atome évellinien, il faut que ce soit un infiniment petit actuel. La contradiction que la plupart des esprits croient voir dans l’infini actuel n’a pas frappé Cournot ; il fait bon marché de cette objection.

« On a souvent répété, dit-il (loc. cit., p. 37), que l’idée de l’infini n’a en mathématique qu’une valeur purement négative… L’arithmétique me donne l’idée de l’infini en ce sens que rien ne limite la série des nombres ; ce n’est là, si l’on veut, qu’une idée négative, c’est l’idée de l’indéfini plutôt que celle de l’infini, à la bonne heure. Mais, quand je conçois l’infinité du temps et de l’espace, c’est bien une infinité actuellement, nécessairement imposée à ma raison et dont j’ai l’idée claire, quoique je puisse m’en faire une image ou une représentation. Que s’il s’agit du mouvement continu qui implique l’existence effective d’une infinité de positions intermédiaires, j’aurai, non seulement une idée claire, mais une représentation du