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H. POINCARÉ.LES MATHÉMATIQUES ET LA LOGIQUE.

faire pour l’arithmétique et pour l’analyse. Si même ils y avaient entièrement réussi, les Kantiens seraient-ils définitivement condamnés au silence ? Peut-être pas, car en réduisant la pensée mathématique à une forme vide, il est certain qu’on la mutile. Admettons même que l’on ait établi que tous les théorèmes peuvent se déduire par des procédés purement analytiques, par de simples combinaisons logiques d’un nombre fini d’axiomes, et que ces axiomes ne sont que des conventions. Le philosophe conserverait le droit de rechercher les origines de ces conventions, de voir pourquoi elles ont été jugées préférables aux conventions contraires.

Et puis la correction logique des raisonnements qui mènent des axiomes aux théorèmes n’est pas la seule chose dont nous devions nous préoccuper. Les règles de la parfaite logique sont-elles toute la mathématique ? Autant dire que tout l’art du joueur d’échecs se réduit aux règles de la marche des pièces. Parmi toutes les constructions que l’on peut combiner avec les matériaux fournis par la logique, il faut faire un choix ; le vrai géomètre fait ce choix judicieusement parce qu’il est guidé par un sur instinct, ou par quelque vague conscience de je ne sais quelle géométrie plus profonde, et plus cachée, qui seule fait le prix de l’édifice construit.

Chercher l’origine de cet instinct, étudier les lois de cette géométrie profonde qui se sentent et ne s’énoncent pas, ce serait encore une belle tâche pour les philosophes qui ne veulent pas que la logique soit tout. Mais ce n’est pas à ce point de vue que je veux me placer, ce n’est pas ainsi que je veux poser la question. Cet instinct dont nous venons de parler est nécessaire à l’inventeur, mais il semble d’abord qu’on pourrait s’en passer pour étudier la science une fois créée. Eh bien, ce que je veux rechercher, c’est s’il est vrai qu’une fois admis les principes de la logique, on peut je ne dis pas découvrir, mais démontrer toutes les vérités mathématiques sans faire de nouveau appel à l’intuition.

III

À cette question, j’avais autrefois répondu que non ; notre réponse doit-elle être modifiée par les travaux récents ? Si j’avais répondu non, c’est parce que « le principe d’induction complète » me paraissait à la fois nécessaire au mathématicien et irréductible à la logique. On sait quel est l’énoncé de ce principe :